Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/548

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pas tarder à la confirmer et à la renforcer par le Syllabus. En attendant, une ligue douanière s’ébauchait entre le pape, le grand-duc de Toscane et le roi de Sardaigne, et ce pouvait être le commencement d’une fédération politique nationale qui entraînerait rapidement les autres États italiens.

En France, tandis que les libéraux applaudissaient, les catholiques de l’école de Montalembert chantaient bien haut les louanges du pape, pour les avoir approuvés dans leur campagne en faveur de la liberté d’enseignement. Guizot, de son côté, annonçait à la tribune que Pie IX « accomplirait la réconciliation de l’Église catholique et de la société moderne », et Thiers faisait écho par ces paroles : « Un saint pontife a formé ce projet si noble de conjurer les révolutions en accordant aux peuples la satisfaction de leurs justes besoins. Courage, Saint-Père, courage ! »

Pour connaître la véritable pensée de Guizot lorsqu’il prononçait d’un ton pénétré, grave, religieux, les paroles qu’on vient de lire, il faut avoir lu ce qu’il écrivait au même moment à Metternich. Nous tiendrons du coup le secret de la politique conservatrice : « Au fond et au-dessus de toutes les questions, disait-il, vous voyez la question sociale ; j’en suis aussi préoccupé que vous. » Pour empêcher le peuple de poser la question sociale, pour empêcher le travailleur d’affirmer son droit à l’existence, et quelque chose de plus, peu importe la tactique. Ici. il faut être libéral, et là absolutiste ; c’est-à-dire employer les moyens les plus propres à empêcher la question d’être posée.

« Nous sommes placés, dit Guizot à Metternich, à des points bien différents de l’horizon ; mais nous vivons dans le même horizon. » Et il ajoutait : « Nous luttons, vous et moi, j’ai l’orgueil de le croire, pour préserver les sociétés modernes ou les guérir ; c’est là notre alliance. » La voilà, en effet, la véritable sainte-alliance, qui ne combat le libéralisme que parce qu’il est un véhicule de socialisme, toute prête d’ailleurs à invoquer le secours du libéralisme contre le socialisme.

« Ce n’est, poursuit Guizot dans cette lettre significative, ce n’est qu’avec le concours de la France, de la politique conservatrice française, que l’on peut lutter efficacement contre l’esprit révolutionnaire et anarchique… Je tiens à grand honneur ce que vous voulez bien penser de moi ; j’espère que la durée et la mise en pratique de notre intimité ne feront qu’affermir votre confiance et votre bonne opinion. »

Mais si Guizot tentait de rassurer ainsi Metternich sur le caractère de son approbation aux actes d’ailleurs anodins de Pie IX, l’opinion publique en France n’avait point de telles arrière-pensées. Les paroles d’encouragement lancées par Thiers étaient reprises par les fractions libérales et démocratiques. « Des socialistes même, dit M. Debidour, parce qu’ils se réclamaient du Christ, n’étaient pas loin de se réclamer du nouveau pape. » Ce n’était pourtant pas un Lamennais qui venait de prendre la succession de Grégoire XVI ; mais « nul ne remarquait que le vrai Lamennais, toujours vivant, n’était pas relevé des censures de l’Église ». Avec un grand sens, M. Debidour observe qu’« un tel état d’esprit aide à com-