Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/55

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Il n’avait pas de volonté, mais précisément cette absence de volonté, jointe à ses répugnances, lui tint lieu d’entêtement. Il opposa donc une résistance passive aux prières, aux querelles, aux séductions, aux menaces et, même, dit-on, aux violences de la baronne. Enfin elle le décida et le roi Charles X sanctionna de sa haute approbation le testament du 30 août 1829, dans lequel, comme bien on pense, Mme de Feuchères n’était pas oubliée. Sa part, cette fois, était à l’abri de toute contestation ultérieure.

Moins d’un an après, grande alarme. La révolution vient de jeter à l’exil la famille royale. Le prince de Condé va-t-il suivre son roi en Angleterre ? S’il émigre de nouveau, il risquera le testament ; il ne voudra pas que le fils de l’usurpateur soit son héritier. Il est d’ailleurs fort incertain. Il voudrait bien que la révolution l’épargnât et le laissât mourir en paix dans un de ses châteaux ou au Palais-Bourbon. Je trouve trace de ce sentiment dans le Constitutionnel des premiers jours d’août 1830, qui publie la très instructive note que voici :

« M. le duc de Bourbon, prince de Condé, a souscrit pour une somme de 6.000 francs en faveur des braves qui ont été blessés dans les mémorables journées des 27, 28 et 29 juillet, ainsi que des familles de ceux qui ont succombé. »

Fuir, c’était abandonner Chantilly et Saint-Leu au pillage. Car, pour le vieux prince, tombé véritablement en sénilité enfantine, c’était 93 qui revenait. Demeurer, c’était s’exposer à être massacré. De là ce don qu’il fit aux blessés des trois glorieuses, pour amadouer les vainqueurs. Pour le rassurer, le compromettre et le remercier à la fois, la duchesse d’Orléans lui portait, le 7 août, le grand cordon de la légion d’honneur et le pressait vivement de demeurer membre de la Chambre des pairs. Il n’osa pas refuser le cordon, mais il tenta de se soustraire à la pairie en faisant pour de bon, cette fois, ses préparatifs de départ. Le 27, à huit heures du matin, on le trouvait pendu à demi-agenouillé devant la fenêtre, comme s’il guettait quelqu’un dans la cour du château, et déjà froid.

Les Rohan, héritiers des Bourbons, attaquèrent le testament de leur parent. Ils repoussèrent véhémentement l’hypothèse d’un suicide, et déclarèrent bien haut que le prince avait été assassiné. Ils perdirent leur procès devant les tribunaux, et le fils cadet du roi garda la colossale fortune des Condé. Mais devant l’histoire un doute subsiste, et ce doute est plutôt défavorable à ceux qui mirent en jeu tant de manœuvres pour obtenir un testament qui, certainement, eût été révoqué si le prince n’était mort subitement.