Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/560

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journal du fondateur de la dynastie des Cassagnac s’engageait, moyennant un versement de 1.200.000 francs, à faire déposer par le ministre de l’Intérieur un projet de loi favorable aux maîtres de poste. Girardin reproduisit ses accusations à la tribune de la Chambre, le 17 juin, il ajouta les achats de votes ouvertement faits, à Quimperlé, aux élections de 1846, et qui avaient abouti à la condamnation en Cour d’assises de Brouillard, le député corrupteur. Il rappela les paroles du procureur général dans le procès de corruption électorale intenté à un membre du conseil général de la Creuse : « La corruption électorale n’est plus un vain mot, s’était écrié ce magistrat : le mal existe, il est flagrant. »

« S’il était bien prouvé que M. de Girardin ne méritait aucun crédit, fait M. Thureau-Dangin, il l’était moins que tout eût été irréprochable, sinon dans les actes du gouvernement, du moins auprès de lui. » En tout cas, Girardin avait accusé, et l’on n’avait pas osé accepter les preuves qu’il offrait. Il avait dit qu’une promesse d’un siège à la Chambre des pairs avait été vendue, et, appelé à fournir ses explications devant la haute assemblée, il avait été renvoyé indemne. En vain, on pressait le ministre de l’Intérieur de poursuivre son accusateur, de traduire les journaux en justice : il se tenait coi.

Aussi, le baron de Viel-Castel, un fidèle du régime, pouvait-il écrire dans son Journal inédit, le soir du 17 juin : « On ne s’entretient qu’avec tristesse de la scandaleuse séance. Les ministériels, tout en se félicitant du vote qui l’a terminée, reconnaissent que la situation qui avait rendu un vote indispensable est pénible, fâcheuse pour le pouvoir et le pays. »

L’Église avait sa part dans ces tribulations. Aux scandales répétés de l’année précédente, où des cas de séquestration et de tortures monacales avaient indigné l’opinion publique, s’ajoutait, en 1847, celui du frère Léotade, qui violait Cécile Combettes, puis assassinait la malheureuse jeune fille.

L’argent dominateur faussait tout, pervertissait tout, domestiquait la science, qui inventait de nouveaux poisons pour falsifier les marchandises et les denrées alimentaires. Un professeur de chimie pouvait déclarer qu’à sa connaissance il se débitait chaque année « plusieurs centaines de kilogrammes de strychnine à Paris ». Ce poison violent, extrait de la noix vomique, était substitué au houblon dans la bière à bon marché Le sulfate de cuivre servait aux boulangers et aux pâtissiers, ce produit dangereux étant plus économique que le levain.

Dans le même moment. Toussenel était témoin du fait suivant : « Une fois que je me trouvais de passage à La Rochelle, dit-il, je vis un rassemblement de femmes qui tentaient d’accaparer toutes les voitures publiques et offraient aux conducteurs des prix doubles des prix ordinaires pour les conduire à Rochefort. M’étant informé auprès d’une de ces femmes des motifs du rassemblement, il me fut répondu qu’une cargaison de fromage de Hollande avarié devait être mise en vente dans ce dernier port, le jour même ; et comme je ne saisissais pas bien le rapport qui unissait ces deux choses : l’empressement des voyageuses et le