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tation, et en quelques jours l’opposition de gauche, de Thiers à Garnier-Pagès, fut prête à entrer en campagne pour la réforme.

Dans la réunion où fut discutée la forme que prendrait cette agitation, qui devait rester légale, constitutionnelle, et se borner à unir tous ceux qui voulaient l’extension du droit électoral à des catégories plus nombreuses de citoyens, l’éditeur républicain Pagnerre fit adopter l’idée d’une série de banquets en province, précédée d’un grand banquet à Paris. En sortant de cette réunion, Pagnerre dit à ses amis :

« Je n’espérais pas pour nos propositions un succès aussi prompt et aussi complet. Ces messieurs voient-ils bien où cela peut les conduire ? Pour moi, je confesse que je ne le vois pas clairement, mais ce n’est pas à nous, radicaux, à nous en effrayer.

— Vous voyez cet arbre, répondit Garnier-Pagès ; eh bien ! gravez sur son écorce le souvenir de ce jour : ce que nous venons de décider, c’est une révolution. »

La campagne commença par une pétition que Pagnerre avait rédigée et qui demandait à la Chambre la réforme de la loi électorale de 1831, parce qu’elle n’avait « pas de base suffisamment rationnelle ni sur la population, ni sur le territoire, ni sur la propriété, ni sur les contributions, ni sur l’aptitude politique, ni sur la capacité intellectuelle ». Cette loi avait « éteint le mouvement politique, qui est la vie même des gouvernements constitutionnels » et ouvert « une large porte à toutes les corruptions ». C’était un manifeste au pays, un acte d’accusation contre le régime, bien plus qu’une pétition à la Chambre.

Le 9 juillet, au banquet au Château-Rouge, douze cents électeurs parisiens, auxquels s’étaient joints de nombreux députés, acclamaient le commentaire que les orateurs réformistes faisaient, chacun avec son tempérament et ses vues propres, du manifeste commun. Le président Charles de Lasteyrie, un vieux libéral, porta le premier toast : À la souveraineté nationale ! Recurt, qui n’avait pas voulu imiter Ledru-Rollin et les amis de la Réforme dans leur abstention hautaine et dans leur refus de toute alliance avec les libéraux dynastiques, invita tous les républicains à participer au mouvement. Odilon Barrot but « à la Révolution de Juillet ». La Marseillaise, exécutée par une musique et chantée par tous les assistants, lui répondit. Et Pagnerre porta un toast « à la réforme électorale et parlementaire ».

Duvergier de Hauranne s’associa éloquemment à ces toasts. Le doctrinaire de la veille fut aussi véhément que les opposants de toujours. « Regardez-vous, s’écria-t-il, comme de purs accidents tous ces désordres, tous ces scandales qui viennent chaque jour porter la tristesse et l’effroi dans l’âme des honnêtes gens ? Non, messieurs, tous ces désordres, tous ces scandales, ne sont pas des accidents ; c’est la conséquence nécessaire, inévitable, de la politique perverse qui nous régit, de cette politique qui, trop faible pour asservir la France, s’efforce de la corrompre. »