Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/581

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les députés de l’opposition se réservaient d’adresser au corps électoral et à l’opinion publique ».

La Réforme publia cette note. Le groupe de Ledru-Rollin cessa de se tenir à l’écart et son chef envoya son adhésion. Le comité électoral parisien avait décidé qu’au banquet, fixé au 22 février, se joindrait une grande manifestation des partisans de la réforme. Ledru-Rollin demanda une place dans le cortège pour le comité de la Réforme et le groupe des étudiants républicains. Les plus clairvoyants sentaient qu’on allait à une révolution. À une réunion tenue chez Goudchaux, on dressait une liste de membres d’un gouvernement provisoire. Un des membres de cette réunion ayant dit à Marie qu’on l’avait inscrit sur cette liste, celui-ci demanda avec étonnement s’il y avait des projets de révolution : « Non je n’en connais pas, lui répondit l’ami, mais tout est possible dans le mouvement qui se prépare ».

Après bien des difficultés, le comité avait pu louer un terrain clos de murs dans une des rues désertes qui avoisinaient les Champs-Élysées. En vingt-quatre heures, une tente y fut construite. Le gouvernement accepta alors que Morny et Vitet allassent trouver Odilon Barrot pour l’engager à laisser trancher le conflit par les tribunaux. Le banquet aurait lieu, mais un commissaire de police se présenterait, verbaliserait et se retirerait ensuite. Odilon Barrot accepta.

Mais le cortège qui devait se former pour se rendre au banquet devenait formidable par le nombre des adhésions qui arrivaient au comité. La garde nationale s’y vit assigner un rang et elle fut publiquement convoquée à l’occuper. Le gouvernement prit prétexte de cette convocation à laquelle il savait que les gardes nationaux répondraient, surtout ceux des quartiers populeux, et ceux de Montmartre, de Belleville, de Saint-Denis, de Bercy ; il fit savoir au comité organisateur que les conventions faites ne tenaient plus et qu’il ne tolérerait ni la manifestation ni le banquet.

On était à la veille même du banquet. Au cours de la séance, Barrot demanda au ministre de l’Intérieur des explications. Duchâtel répondit qu’il avait autorisé le banquet, mais non une manifestation publique. Il ajouta qu’il permettait toujours aux assistants de se rendre individuellement au lieu de réunion, mais qu’il disperserait tout attroupement sur la voie publique. À la fin de la séance, les membres de l’opposition tinrent conseil, mais ne purent s’entendre. Le soir, une nouvelle réunion eut lieu chez Odilon Barrot, effaré d’avoir déchaîné un péril révolutionnaire, et on convint de décommander la manifestation et le banquet.

Mais si les députés et les hommes politiques en vue reculaient, ceux que leur campagne avait lancés en avant n’entendaient pas battre en retraite. Cependant, à la réunion de la Réforme, Ledru-Rollin et Louis Blanc faisaient repousser la proposition de prendre les armes faite par plusieurs républicains, notamment Albert, Baune, Caussidière et Rey. Aux Saisons, reformées par Blanqui, à la Société des étudiants, on était également, après débat, contre l’insurrection.