Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/582

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Mais, là, on était résolu à se rendre quand même au rendez-vous auquel les chefs manqueraient et d’y surveiller les événements.

La note des députés de l’opposition avait eu beau engager les « bons citoyens » à s’abstenir de toute manifestation publique et promettre de demander la mise en accusation du ministère, la Réforme avait eu beau, publier un article où Flocon disait à ses amis : « Gardez-vous de tout téméraire engagement », le matin du 22 février vit une foule immense descendre des hauteurs populeuses et se diriger vers les Champs-Élysées par les boulevards. Bientôt des rassemblements se formèrent un peu partout, d’où jaillissaient le cri de : Vive la Réforme ! et le chant de la Marseillaise. Une masse de manifestants poussa jusqu’à la Chambre, la troupe voulut la disperser ; elle fut reçue à coups de sifflet et aussi à coups de pierres. On fit alors venir de la cavalerie et les manifestants furent refoulés dans le centre, où ils élevèrent des barricades et échangèrent des coups de fusil avec les gardes municipaux.

Le 23, à l’aube, la foule emplissait les rues et les places. Les barricades s’élevaient un peu partout. Soudain le rappel de la garde nationale est battu, sur l’ordre des maires, et même des particuliers. Les gardes nationaux s’équipent et se rendent à leurs points de ralliement aux cris de : Vive la Réforme ! À bas les ministres ! Puis de là il se dirigent vers les centres d’agitation et se jettent entre la troupe et le peuple. Des masses compactes les entourent, les acclament.

La nouvelle en arrive au roi, qui se rappelle alors les avertissements de Montalivet. Sur ces entrefaites, Guizot arrive et lui offre sa démission. Il accepte, et sitôt que le peuple apprend cette résolution, l’émeute se change en fête. Jusque là, seuls les hommes emplissaient les rues, les parcourant à grands cris furieux. Ils se transforment en promeneurs joyeux, les femmes, les enfants, les vieillards les rejoignent, et montrent leur joie de la paix enfin revenue, les ouvriers et les bourgeois fraternisent avec les soldats campés sur le boulevard.

Le soir venu, la foule demande des lampions sur l’air classique. Les fenêtres s’illuminent. Devant le ministère des affaires étrangères, boulevard des Capucines, on ne crie plus : à bas Guizot ! mais : des lampions ! Soudain, un coup de feu part des rangs pressés de cette foule en liesse. Quels ordres sévères ont été donnés aux soldats qui gardent la demeure de Guizot ? À quel péril croient-ils avoir à faire face ? Spontanément, ils abattent leurs fusils et font une trouée sanglante dans la masse humaine.

La consternation, la terreur, la fureur succèdent à la joie. En vain ceux qui se sentent une autorité, une responsabilité essaient de montrer au peuple qu’il y a là un effroyable malentendu. Un tombereau dans lequel on a entassé les cadavres a commencé une lugubre promenade sur les boulevards, soulevant, partout les cris de vengeance. Et les illuminations éclairent une veillée des armes tout entière passée à relever les barricades et à en construire de nouvelles.

Au jour, des placards officiels annoncent que le maréchal Bugeaud est nommé commandant de toutes les forces militaires de Paris. Mais en même temps