Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/583

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que Louis-Philippe charge le répresseur de Transnonain de diriger la bataille, il demande à Thiers, répresseur en chef de Saint-Merri et de Transnonain, les moyens de négocier la paix. Celui-ci, qui voit à quelle insurrection l’on a affaire, déclare qu’on ne peut calmer le peuple qu’en annonçant la présence d’Odilon Barrot dans le ministère. — Vous me rapportez des propos de café, dit le vieil entêté avec dédain.

Mais Thiers déclare nettement qu’il n’acceptera le pouvoir qu’à cette condition, et le roi finit par mander Barrot. Mais, peu soucieux de voir Bugeaud dans un cabinet dont il aura la responsabilité, dont il est le garant, Barrot refuse. On lui promet en effet de le laisser faire la réforme lorsque Bugeaud aura terminé la répression. Son refus accule le roi et la cour à une nouvelle capitulation. Barrot est libre de constituer son ministère comme il l’entendra. Il choisit Thiers, Duvergier de Hauranne et Lamoricière, confie à ce dernier le commandement en chef de la garde nationale de Paris, fait savoir la nouvelle par une affiche qui annonce en même temps que l’ordre est donné de suspendre le feu.

La Réforme, parue en même temps que le roi confiait le pouvoir à Barrot, posait ou croyait poser les conditions auxquelles le peuple poserait les armes. Il suffisait de mettre en liberté les citoyens arrêtés, de mettre les ministres en accusation, d’abolir les lois contre la presse et de donner une réforme électorale très large. « Avec ces mesures, disait-elle, on rétablira l’ordre très promptement. » Au National, Marrast comprenait mieux les sentiments du peuple, dont il avait senti l’invincible défiance. L’exaspération, dans le peuple, l’emportait sur la défiance : il ne voulait plus d’un roi qui ne cédait que faute de trouver des complices pour la répression.

Quand on vint annoncer à Marrast le ministère Thiers-Barrot, il répondit à l’unisson de Paris soulevé : « Cela ne suffit plus. L’abdication du roi avant midi. Après midi, il serait trop tard. » Barrot put se rendre compte personnellement de la réalité. Entouré de républicains qui ne croyaient pas que l’heure de la République fût venue, il passa une partie de la matinée à parcourir la foule et rentra chez lui découragé. « Vous voyez, lui dit Garnier-Pagès, il faut aller vite, car les événements nous poussent. Aujourd’hui c’est vous, demain ce sont mes amis et moi, après-demain c’est Ledru-Rollin. » Les événements ne poussaient pas les hommes, ils les bousculaient, les faisaient tournoyer comme des feuilles mortes.

Proudhon est à la Réforme. Saisissant les outils de son ancien métier de typographe, il compose un placard qui dit toute la situation du moment : « Citoyens, Louis-Philippe vous fait assassiner comme Charles X ; qu’il aille rejoindre Charles X ». Puis il sort et, avisant un passant qui flâne autour d’une ébauche de barricade avec des airs effrayés, il prend un air comiquement féroce et lui ordonne d’y porter son pavé. Les chefs républicains courent de rendez-vous en rendez-vous, sans se joindre, égarés par le policier de la Hodde pendant toute la matinée. Enfin, quelques-uns se trouvent réunis vers midi à la Réforme ; ils dirigent le peuple sur le Château-d’Eau.