Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/71

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cinq quarts de lieue de Saint-Quentin, il faut ajouter chaque jour le temps nécessaire. »

Les ateliers de Mulhouse occupent plus de cinq mille ouvriers des deux sexes, y compris les enfants occupés dès l’âge de six ans, logés dans les villages environnants. « Ces ouvriers sont les moins bien rétribués, dit Villermé. Ils se composent principalement de pauvres familles chargées d’enfants en bas âge, et venues de tous côtés, quand l’industrie n’y était pas en souffrance, s’établir en Alsace pour y louer leurs bras aux manufactures. Il faut les voir arriver chaque matin en ville et en partir chaque soir. Il y a parmi eux une multitude de femmes pâles, maigres, marchant pieds nus au milieu de la boue, et qui, faute de parapluie, portent renversé sur la tête, lorsqu’il pleut, leur tablier ou leur jupon de dessus, pour se préserver la figure et le cou, et un nombre encore plus considérable de jeunes enfants non moins sales, non moins hâves, couverts de haillons tout gras de l’huile des métiers, tombée sur eux pendant qu’ils travaillent. Ces derniers, mieux préservés de la pluie par l’imperméabilité de leurs vêtements, n’ont pas même au bras, comme les femmes dont on vient de parler, un panier où sont les provisions pour la journée ; mais ils portent à la main ou cachent sous leur veste, ou comme ils le peuvent, le morceau de pain qui doit les nourrir jusqu’à l’heure de leur rentrée à la maison. » Ici, l’enquêteur officiel ajoute en note que ces malheureux « forment la dernière classe ouvrière. »

S’étonne-t-on, après cela, qu’à Mulhouse la moitié des enfants n’atteigne pas la dixième année et que la durée de la vie moyenne y soit tombée de près de vingt-six ans qu’elle était en 1812 à moins de vingt-deux ans en 1827 ! Au commencement de la monarchie de juillet les chances de vie à la naissance se répartissent ainsi : classe des manufacturiers, etc., 28 ans ; domestiques, 21 ans ; boulangers, meuniers, tailleurs, 12 ans ; journaliers, 9 ans ; maçons, charpentiers, 4 ans ; tisserands, un an et demi ; ouvriers de filature (où sont surtout occupées les femmes et les enfants) un an et un quart.

Pris de pudeur, les industriels alsaciens s’occupèrent à diverses reprises « des moyens de ramener à des limites raisonnables le travail forcé et trop précoce auquel on astreint les enfants dans les manufactures de coton. » Villermé nous apprend que la Société industrielle de Mulhouse « a non seulement accueilli avec faveur toutes les communications, toutes les propositions qui lui ont été faites dans ce but ; mais encore qu’elle a déjà deux fois, par une pétition adressée aux Chambres et aux ministres, demandé une loi qui fixât la durée du travail des enfants dans les manufactures. »

Bien entendu, la journée de travail des femmes et des enfants se règle sur la durée du travail des hommes. Parfois elle dure seize heures, repas compris. Le travail effectif est rarement inférieur à treize heures. À Sedan, la journée commune est de seize heures, dont quatorze de travail effectif. Dans certaines manufactures de cette ville, la journée n’est pas ordinairement de plus de douze heures pour les hommes, et de huit heures et demie pour les femmes. Cependant, ajoute