Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/72

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Villermé, dans beaucoup de ces manufactures « moyennant un supplément de salaire, le travail se prolonge fréquemment au-delà de ce nombre d’heures, sans que les ouvriers puissent s’y refuser. » On le croit sans peine.

Partout où le travail à domicile a subsisté à côté de la manufacture, l’homme, la femme et l’enfant y sont plus étroitement et plus durement encore attachés au labeur. Ainsi à Reims la journée de travail effectif est de douze heures et demie, et parfois de douze heures. Pour les laveurs de laine et les batteurs, il tombe même à onze heures, souvent à dix heures et demie. « Mais dit Villermé, le travail à domicile est ici, comme partout, plus long que dans les usines. » De même à Tarare où « la journée est de treize à quatorze heures et la durée du travail de dix à douze. Quant aux ouvriers qui tissent ou dévident chez eux, c’est comme ailleurs : ils quittent et reprennent le travail quand ils le veulent, mais en général ceux qui ne sont pas en même temps tisserands et agriculteurs le prolongent très avant dans la nuit. »

Eugène Buret, Engels, Karl Marx, nous ont dit l’existence douloureuse des enfants voués au travail dès le plus jeune âge dans les manufactures anglaises. J’ai consulté soigneusement les enquêtes françaises pour la même période, et j’y ai trouvé bien des faits douloureux et qui sont un outrage pour l’humanité, mais rien qui approche de ce que ces écrivains ont observé de leurs yeux ou trouvé dans les enquêtes officielles anglaises. Le baron d’Haussen a résumé les atrocités du capitalisme anglais au moment de son développement dans le saisissant tableau que voici :

« On soumet les enfants de six à sept ans à un travail de huit à dix heures de suite qui reprend après une interruption de deux ou trois heures et se continue ainsi pendant toute la semaine. L’insuffisance du temps accordé au repos fait du sommeil un besoin tellement impérieux qu’il surprend les malheureux enfants au milieu de leurs occupations. Pour les tenir éveillés, on les frappe avec des cordes, avec des fouets, souvent avec des bâtons, sur le dos, sur la tête même. Plusieurs ont été amenés devant le commissaire de l’enquête avec des yeux crevés, des membres brisés par suite des mauvais traitements qui leur avaient été infligés. D’autres se sont montrés mutilés par le jeu des machines près desquelles ils étaient employés. Tous ont déposé qu’outre ces accidents, des difformités, presque certaines, résultaient pour eux de la position habituelle nécessitée par un travail qui ne variait pas. Tous ont déposé que les accidents dont ils subissaient les fatales conséquences n’avaient donné lieu à aucune indemnité de la part de leurs maîtres, qui avaient même refusé à leurs parents les secours momentanés que réclamait leur guérison. La plupart étaient estropiés, faute d’avoir eu les moyens de se faire traiter. »

L’écrivain féodal, n’oublions pas qu’il fut le dernier ministre de la maison de Charles X, s’écrie en terminant : « Voilà l’humanité telle que l’a faite le radicalisme en Angleterre ! » Et naturellement il oublie de nous montrer les propriétaires anglais démolissant les cottages où végétait la plèbe agricole et la chassant dans