Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/73

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les villes pour n’avoir plus à payer la taxe des pauvres, et remplaçant le labour par les pâturages afin de fournir de la laine à ces manufactures détestées.

Mais revenons en France, où tant de tristesses nous attendent. Les ouvriers y travaillent de toutes leurs forces, et au-delà de leurs forces. Reçoivent-ils au moins un salaire suffisant ? Dans l’industrie textile, le salaire moyen de l’homme est de deux francs par jour pour l’homme, d’un franc pour la femme, de 45 centimes pour les enfants au-dessous de douze ans, et de 75 centimes pour les enfants de douze à seize ans. Les salaires, pour l’homme s’élèvent jusque vers l’âge de trente ans, mais après trente-cinq et quarante ans ils baissent toujours ; bien qu’ils baissent « dans une progression plus lente que celle de leur accroissement », on constate ici la rapide usure de la force humaine.

Si l’on réunit ensemble les salariés de l’industrie et de l’agriculture sur la base de 260 journées par an, on obtient une journée moyenne de 1 fr. 38, ce qui porte le gain d’un ménage où l’homme et la femme travaillent à 477 francs par an. Mais ces chiffres sont une moyenne, et il y a autant de marge en deçà qu’au delà. C’est ainsi qu’en 1836 encore, « beaucoup d’enfants ne recevaient pas plus de six sous par jour », et que « dans les campagnes, trente-cinq à trente-six sous étaient le maximum du gain des tisserands à la main, au lieu de deux francs comme en 1834, ou de trois francs comme en 1824. »

Dans son rapport sur les produits destinés à l’Exposition de 1834, le jury départemental du Haut-Rhin avoue un salaire moyen de 1 fr. 57 1/3 par jour. Mais il n’a pas compris dans son évaluation les enfants et les jeunes gens qui gagnent : les bobineurs, 35 centimes ; les rattacheurs de 50 centimes à 1 franc par jour. La moyenne générale doit donc être abaissée de 30 à 35 centimes par jour. Un tableau statistique des ouvriers d’une grande manufacture du Haut-Rhin établit, en effet, que le salaire moyen dans les ateliers de filature est, en 1832 de 1 fr. 03 centimes par jour. Villermé, de son côté, déclare que « la moyenne du salaire a été, pour tous les ouvriers d’une grande manufacture d’Alsace, de 73 centimes en 1832. » Il ajoute que dans la même région « trente cinq mille ouvriers, dont une forte partie répandue dans la campagne ne tisse que par intervalles…, recevaient 4.825.000 francs… ; chacun de ces ouvriers touchait à peu près 138 francs par an, ou 46 centimes par jour. »

Ces chiffres sont sensiblement les mêmes que ceux de Buret dans son livre sur la Misère des classes laborieuses en Angleterre et en France. » Il est prouvé, dit-il, que le travail de quinze à seize heures par jour ne permet pas à la grande majorité des pauvres ouvriers tisserands de gagner plus de 1 franc ; le nombre de ceux dont le salaire est au-dessous est plus grand assurément que le nombre de ceux qui ont le bonheur de l’atteindre. À Mulhausen (Mulhouse), à Troyes, un tisserand ne gagne souvent que soixante centimes par jour. »

Tous les patrons ne gémissent pas, comme ceux de Mulhouse, de l’atroce situation faite aux ouvriers par des conditions d’existence aussi misérables. « M. Jourdan-Ribouleau, nous dit Buret, m’apprend que, pendant les embarras commerciaux qui ont suivi la révolution de juillet, les salaires ont varié environ