Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/81

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supports : une paillasse, une couverture formée de lambeaux frangés, rarement lavée parce qu’elle est seule, quelquefois des draps et un oreiller : voilà le dedans du lit. Quant aux armoires, on n’en a pas besoin dans ces maisons. Souvent un rouet et un métier complètent l’ameublement ; » et, peut-on dire en forme de conclusion, ajoutent l’insalubrité à l’insalubrité.

Les ouvriers normands sont aussi mal logés que les ouvriers bretons. À Rouen, dit Villermé, « ils habitent en général dans des rues étroites, des maisons sales, humides, mal distribuées, souvent bâties en bois, et dont les chambres sont petites et obscures ». Leurs frères de Picardie n’ont rien, hélas ! à leur envier. À Amiens, où « les hommes âgés de 20 à 21 ans ont été trouvés d’autant plus souvent aptes au métier des armes par leur taille, leur constitution, leur santé, qu’ils appartenaient à la classe aisée, et d’autant moins souvent qu’ils appartenaient à la classe pauvre, à la classe ouvrière de la fabrique », ces derniers sont aussi mal logés, et la ville n’est insalubre que pour eux.

Villermé signale que la plupart de ces logements n’y sont pas de plain-pied et qu’à chaque rez-de-chaussée « répond une chambre au premier étage, un grenier au-dessus de celle-ci, ou quelquefois un grenier seul ». Ainsi s’étagent deux ou trois familles, la famille de l’étage supérieur traversant les chambres de l’autre famille, toutes les fois qu’elle sort ou rentre. Les pauvres n’ont pas le droit d’être chez eux.

Les tisserands de Saint-Quentin font leur toile en famille « dans des espèces de caves ou de celliers humides, peu ou point aérés, où la température est basse, mais égale. Mais presque toutes les maisons où logent les tisserands « étaient construites en pierres parfaitement jointes, voûtées et assez bien éclairées », la lumière étant un des plus pressants besoins professionnels du tissage.

On a beaucoup parlé des caves de Lille, on en parlera encore longtemps. Villermé a visité en détail cette lamentable rue des Étaques, et il est descendu dans ces taudis souterrains « par un escalier qui en est très souvent à la fois la porte et la fenêtre ». Il a noté que, pour ces misérables troglodytes de notre civilisation, le jour arrive une heure plus tard que pour les autres, et la nuit, une heure plus tôt. Ici, comme à Rouen, comme dans les Vosges, comme à Lodève, le proverbe est démenti par le laissez-faire bourgeois, et le soleil ne luit pas également pour tout le monde.

Dans ces caves, Villermé a vu fréquemment « reposer ensemble des individus des deux sexes et d’âges très différents, la plupart sans chemise et d’une saleté repoussante. Père, mère, vieillards, enfants, adultes, s’y entassent ». Malgré cela, il n’hésite pas à préférer ces taudis aux greniers, « où rien ne garantit des extrêmes de la température ».

Victor Hugo a visité ces trous, et les Châtiments nous en ont rapporté l’horreur :


Caves de Lille ! on meurt sous vos plafonds de pierre !
J’ai vu, vu de mes yeux pleurant sous ma paupière
_____Râler l’aïeul flétri,