Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/99

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lutionnaire lorsque vint ce débat devant l’Académie des sciences. Il appartenait à Darwin et à son collaborateur Russel Wallace de le terminer victorieusement et de substituer à la volonté arbitraire d’un Dieu créant les formes et les fonctions une à une, le double mouvement naturel de l’hérédité qui les reproduit et du milieu qui les modifie et les différencie dans une éternité de temps bien plus majestueuse que l’enfantine création du monde en six journées.

Le 2 août 1830, la nouvelle de la révolution arrivait à Weimar, séjour habituel de Gœthe. — « Eh bien ! s’écria le poète en voyant entrer Eckermann, son ami et son confident ordinaire, que pensez-vous de ce grand événement ? Le volcan a fait explosion, tout est en flammes, ce n’est plus un débat à huis clos ! — C’est une terrible aventure, répondit Eckermann. Mais pouvait-on s’attendre à une autre fin, dans les circonstances que l’on connaît, et avec un tel ministère ? — Je crois que nous ne nous entendons pas, mon bon ami, répliqua Gœthe. Il s’agit bien de cela ! Je vous parle de la discussion qui a éclaté en pleine Académie entre Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire. »

Il faut se garder de sourire. Gœthe, en effet, ne peut pas être pris pour un poète-philosophe indifférent aux bouleversements politiques. Et s’il s’était détaché de la Révolution française dans laquelle à Valmy il avait, dit-il, salué « une nouvelle époque dans l’histoire du monde », ç’avait été autant sous l’impression des sentiments patriotiques que lui faisaient éprouver les idées françaises de conquête sur le Rhin sous le couvert de la propagande révolutionnaire, que par une répugnance très marquée contre « tout ce qui est violent et précipité » car, ajoutait-il avec un sens profond de l’évolution naturelle, « cela n’est pas conforme à la nature ». Fidèle à sa pensée hautaine et à son mépris constant pour les mouvements irréfléchis des foules, averti par là même que le peuple tirerait peu de profit des barricades qu’il venait de dresser victorieusement dans Paris, Gœthe était tout naturellement porté à attacher plus de valeur à la révolution scientifique dont la poussée, un jour, transformerait les idées et, plus sûrement que les fusils de l’insurrection, vaincrait les vieux dogmes et les vieilles servitudes. Car, il avait, lui aussi découvert l’unité des espèces animales en même temps que Lamarck, et il avait étendu cette unité au règne végétal, incité aux études botaniques par Linné et Jean-Jacques Rousseau.

L’Église, l’immuable Église qui devait condamner Darwin, comme elle avait condamné Lamennais et Montalembert, et par la voix du cardinal Manning protester contre « la philosophie qui supprime Dieu et fait de notre Adam un singe », tente aujourd’hui, par d’autres docteurs non moins autorisés, d’escamoter (il n’est pas d’autres mots) la contradiction qui éclate entre ses dogmes et la science. Et, tout récemment, le recteur de l’Université catholique de Paris autorisait en ces termes l’étude des théories darwiniennes : « La théorie de l’origine des espèces est une hypothèse incertaine, attaquable sans doute, mais c’est une hypothèse utile et féconde, et provisoirement elle doit être conservée comme instrument précieux d’étude, de travail et de recherche. » L’Église, qui est avant tout une institution