Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/131

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eut certainement plus de 2.000 inquiétés, arrêtés, détenus souvent plusieurs mois. Qu’avaient-ils fait ? Tous les renseignements minutieusement recueillis par les historiens sur ces suspects, permettent d’établir que leur innocence était absolue. Ils ne tombaient même point sous le coup de l’article 7 de la terrible loi : « aucun fait grave ne les avait signalés de nouveau comme dangereux pour la sûreté publique ». Quoi alors ? Ils étaient, ils avaient été républicains en 1851. Dans les villes, ce furent surtout des ouvriers qui furent frappés ; dans la province, ce furent les notables républicains, ce furent ces bourgeois libéraux, avoués, avocats, médecins, notaires, qui, depuis le début du siècle, avaient été traditionnellement, les professeurs de républicanisme de la campagne. Les brutalités de la police furent inouïes ; l’arbitraire de l’administration insensé.

Dans le Loiret, Mme Jarreau, femme d’un gros propriétaire, transporté à Cayenne en 1852, fut arrêtée à son tour pour avoir recueilli jadis l’enfant de Pauline Roland. A Paris, ils voulurent arrêter Frédéric Gérard, traducteur au ministère de la Guerre, mort un an plus tôt. Fomberteaux et Tillier, (le fils du célèbre pamphlétaire) furent enlevés par la police, expédiés immédiatement à Marseille, et traités comme des forçats.

Dans la Loire-Inférieure, quelques ouvriers inquiétés naguère pour avoir fait partie de la Marianne ou seulement soupçonnés d’en faire partie fuient arrêtés et transportés. Ailleurs, le père mort manquant à l’appel depuis 1851, on enleva le fils ou la mère. Il fallait aux gendarmes « quelqu’un du nom ».

Il fallait aussi aux préfets leur compte de suspects. Le préfet de la Charente, ayant à arrêter six républicains dangereux et n’en trouvant que cinq, leur joignit un prêtre défroqué.

Cependant, des événements extraordinaires se déroulaient à Paris. Et ils allaient avoir pour conséquence le relâchement du système de répression, qui à cette heure même, semblait s’exagérer.

Sitôt après l’attentat du 14 janvier, le Cabinet des Tuileries avait adressé à Turin et à Londres de violentes protestations contre les assassins politiques, et presque des menaces contre les États qui les accueillaient. Il faillit s’en suivre une rupture. Mais bientôt l’attitude changea.

A l’heure même où la loi de sûreté générale était votée, le procès d’Orsini se déroulait. C’était Jules Favre que l’auteur de l’attentat avait demandé comme avocat. La « pensée de l’Italie demandant grâce pour un de ses fils égaré », avait décidé l’avocat républicain à accepter. L’accusé lui-même avait quelque chose de séduisant, d’insinuant, auquel Jules Favre n’était point resté insensible. Le 25 février, Orsini comparut devant les juges.

Que s’était-il passé depuis le 14 janvier dans l’esprit de l’Empereur ? Quelles influences s’étaient exercées auprès de lui ? Pourquoi le 18 février avait-il donné à son préfet de police, au dévoué Piétri, l’ordre d’aller trouver Orsini dans sa cellule de la Conciergerie ? — Ce ne fut pas, en tous cas, un mince étonnement pour l’opinion publique française, que de