les mesures de répression n’étaient désormais capables d’arrêter les catholiques ni les libéraux.
Alors, par un calcul bien digne de son machiavélisme débile, l’Empereur résolut de leur rendre encore quelques libertés, afin de les mieux opposer les uns aux autres. Il appellerait, pensa-t-il, la Chambre et le Sénat « à prendre leur part de fardeau ». Les partis lutteraient entre eux ; et lui, poursuivant sa politique secrète, il ferait retomber sur eux, sur leur opposition, les fautes qu’on pourrait lui reprocher. Il y aurait de nouveau, en France, au moins en apparence, une lutte de traditions et d’idées ; et le pays lui serait reconnaissant, sans doute, de trouver entre les deux, une politique d’équilibre et de modération.
Les décrets du 24 novembre 1860 procédaient de cet état d’esprit, de ce calcul. Ils étaient directement issus des difficultés créées par la question romaine qui avait tourné les catholiques contre l’Empereur sans rallier les libéraux ; et pour une part moindre, par l’opposition protectionniste aux traités de 1860. Ils n’étaient, pas, comme le disait pompeusement leur préambule, « un témoignage éclatant de la confiance de l’Empereur ». Ils n’étaient que la preuve de ses embarras.
Ces décrets rendirent donc quelque liberté aux assemblées, au Corps législatif, au Sénat. Tous les ans, Corps législatif et Sénat pourraient désormais, au moyen d’une adresse librement discutée, en réponse au discours du trône, examiner et apprécier la politique du gouvernement. Des ministres sans portefeuille seraient chargés de défendre cette politique et de soutenir les projets de lois. Enfin des comptes-rendus des séances devaient être publiés chaque soir ; et les débats, reproduits par la sténographie, figureraient in-extenso dans le Journal officiel du lendemain. C’était ainsi qu’en apparence et sans rien lâcher de ses prérogatives essentielles, ce joueur perpétuel espérait tromper le pays et lui faire partager ses responsabilités.
On pouvait seulement se demander si les partis n’allaient pas se servir contre l’Empire des apparences de liberté, qui leur étaient rendus ; si, au lieu de lutter entre eux, ou, tout en luttant entre eux, ils n’allaient pas tourner leur effort principal contre l’Empire lui-même. La politique extérieure, à propos de laquelle ils se heurtaient principalement, ne pouvait occuper toute leur activité. Avant tout, ils avaient besoin de liberté. Parlementaires du règne de Louis-Philippe, doctrinaires républicains, hommes de 48, ouvriers soucieux de leur émancipation, tous avaient besoin de pouvoir plus librement parler, plus librement agir.
A l’intérieur, comme à l’extérieur, l’Empire, en voulant tromper tout le monde, mécontentait toutes les classes. L’évolution économique autant que les aspirations politiques menait à la lutte contre le régime. Elle se prépara de 1859 à 1863.