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CHAPITRE III.


UN CALCUL DÉÇU


Par les décrets de novembre 1860, l’Empereur avait voulu donner de nouveau au pays le spectacle des luttes des partis. Il s’était flatté quelque temps de les apaiser tous, de les satisfaire tous par sa politique de prospérité matérielle et de gloire. Mais ses conceptions libre-échangistes et la fatalité de sa politique extérieure avaient tourné contre lui ses complices de décembre, les industriels protectionnistes et les catholiques. Pour combattre ses desseins, ceux-là s’étaient reformés en partis. Et il avait été contraint, cherchant un contre-poids, de laisser plus de liberté aux démocrates et même à ces républicains qu’il avait écrasés et proscrits depuis 1852. Désormais l’« arène des partis » allait être rouverte ; mais la volonté souveraine de l’Empereur demeurerait, pensait-il, maîtresse et juge de leurs revendications contradictoires. Officiellement, cette fois, mais avec une puissance absolue, il reprendrait ce rôle d’arbitre des partis qu’il avait tenu jadis, lors de sa présidence, et qui lui avait si bien réussi. — Tous les partis, s’accoutumant à voir en lui l’arbitre de leurs querelles, n’en reconnaîtraient que plus loyalement son pouvoir. — Quant aux ministres, que les influences secrètes et contradictoires de l’Impératrice ou du prince Napoléon gênaient si souvent dans leur politique, ils se flattaient de trouver, dans cette résurrection au moins apparente des débats parlementaires un moyen d’enchaîner l’Empereur, de le défendre contre ses rêveries et contre les « influences privées ».

Trois ans plus tard, les élections de 1863 révélèrent combien le calcul était faux. Loin de s’opposer, de se neutraliser, c’était contre l’Empire lui-même que les oppositions solidement reconstituées tournaient le meilleur de leurs forces. Et pour se défendre contre les partis, l’Empereur multipliait les secrets et rusait plus que jamais. L’opinion publique, désormais réveillée, commençait à lui mener rudement la bataille ; et la prospérité matérielle se révélait impuissante à remplacer la liberté.

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Jamais, cependant, peut-être, le pauvre rêveur ne forma plus de projets, et ne tenta plus d’entreprises pour satisfaire les différents partis. « L’esprit de l’Empereur, disait un jour Palmerston, est aussi rempli de projets qu’une garenne de lapins ». Ces lapins prirent joyeusement leurs ébats, de 1850 à 1863 ! Dans le monde entier, l’Empereur cherchait des satisfactions pour les partis français et la gloire napoléonienne.

Pour les catholiques d’abord ! Car ceux-là criaient bien fort, depuis qu’ils sentaient leur pape menacé ; et leur opposition se faisait violente au Corps législatif.

En 1860, l’Empereur leur accorda une nouvelle expédition de Chine. La