Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/197

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’augmentation des salaires n’était nullement proportionné a la hausse des prix soit des vivres, soit des loyers. Le délégué des mécaniciens déclarait « qu’il était surabondamment prouvé que, depuis dix ans, le prix des objets de première nécessité avait augmenté d’un tiers ». Le délégué des typographes précisait : « Depuis une douzaine d’années, disait-il, le prix des loyers et des subsistances s’est accru d’au moins 50 %, tandis que mon salaire s’est à peine élevé de 9 à 10 % ; au total donc 40 % de diminution de bien-être ». Et tous les budgets qu’ont dressés, soit en 1862, soit en 1867, les délégués des diverses corporations attestent de même combien le déficit était facile, combien souvent il était fatal dans les ménages ouvriers d’alors. L’ouvrier en voiture qui travaillait 278 jours par an et gagnait, à raison de 4 fr. 50 par jour, 1.251 par an, marié et père de deux enfants, dépensait, « sans s’écarter », comme on dit, 1.698 fr. 75 : 250 fr. de loyer, 1.095 fr. de nourriture (3 fr. par jour), 273 fr. 75 d’entretien (0 fr. 75 par jour), 50 fr. de chauffage et d’éclairage, 30 fr. de frais d’école pour les enfants. Le facteur de pianos qui gagnait en 1867 6 fr. par jour, donc 1.800 pour 300 jours de travail, marié et père de deux enfants, dépensait 1.971 fr : 300 fr. de logement, 300 fr. d’entretien, 75 fr. de chauffage et d’éclairage, 100 fr. de blanchissage, 36 fr. de société de secours, 70 fr. d’école pour un enfant, 1.100 fr. de nourriture (sans vin). Dans les agglomérations industrielles, dans les pays de bas salaires, le déficit des budgets ouvriers était plus fréquent encore. Sur dix budgets de ménage de la région mulhousienne, L. Reybaud en trouvait six en déficit.

Ainsi, par l’effet même des circonstances, le plan du gouvernement impérial se trouvait déjoué. Toutes ces populations industrielles, tout ce prolétariat nouveau auquel il aurait voulu faire croire qu’il le rendait heureux et qu’il voulait ainsi attacher à sa fortune, n’allait point sentir sa situation améliorée et n’allait point lui en rendre grâces. Bien pire, n’allait-il point même, inspiré par les démagogues ou par les partisans des régimes déchus, accuser l’Empire de sa misère ?

C’eût été le châtiment. Pendant des années, le gouvernement impérial le redouta.

C’est une étrange impression que l’on éprouve en effet à lire sur ce point les rapports adressés par les procureurs généraux de 1852 à 1856. Il n’est point de région, où malgré la prospérité industrielle, malgré le travail qui va fort, ces fonctionnaires n’aient à signaler de graves misères. Dans le ressort de Riom, on signale des communes où sur 2.500 habitants, il y a 400 indigents. Dans le Nord, malgré « l’incroyable élan de l’industrie et la hausse des salaires, il faut établir des ateliers de travail et faire appel aux largesses individuelles. Parfois même, alors qu’en général les cultivateurs, vendant bien leurs produits, ne se plaignent pas d’un renchérissement qui les sert, de mauvaises récoltes, comme celle des pommes de terre en 1853, ajoutent la détresse paysanne à la misère ouvrière. « Dans plusieurs communes, on a mangé de