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Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/211

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classes ouvrières pour la défense de leurs intérêts de salaire. Sitôt que naît une question de ce genre, elle tourne à la coalition. L’autorité eut à agir (à agir plutôt qu’à sévir, parce que ce sont des faits à toucher d’une main protectrice et prudente) contre des grèves de maçons, de charpentiers, de terrassiers et d’imprimeurs sur étoffes » — À propos de la grève des mineurs de Rives-de-Gier, le même procureur écrit le 3 juillet 1862, qu’il s’agit là « d’une de ces délicates questions de salaires qui renferment peut-être un des plus graves problèmes politiques, l’avenir de certaines industries ».

Mais il y a même des cas où les procureurs généraux, pour peu qu’ils examinent impartialement les faits, sont contraints de prendre parti, du moins in petto, pour les ouvriers. Lorsque, dans l’été de 1852, éclata la grève tumultueuse de Willer, où la troupe chargea à la baïonnette les ouvriers armés de fourches et de bâtons, le procureur dut reconnaître que « M. Kœchlin, par sa position exceptionnelle de fortune pouvait plus convenablement que tout autre rétribuer ses ouvriers. J’ai dû, ajoutait-il, le lui laisser pressentir » (BB. 30/404). Lors de la grève des tailleurs de pierre de Lyon, en 1855, le commissaire spécial, dans son rapport au préfet, remarquait que si les grévistes étaient légalement coupables, en fait « c’était des hommes inoffensifs, arbitrairement exploités par leurs patrons, poussés par eux dans le guet-apens d’une grève dont les patrons devaient surtout tirer avantage, et par conséquent, dignes de tout l’intérêt de l’administration ».

Était-ce donc le gouvernement impérial, ce gouvernement si soucieux de l’amélioration du sort des classes pauvres, qui allait abandonner les ouvriers ? Allait-il les livrer pieds et poings liés aux méfaits de la concurrence, à la dure exploitation de la féodalité financière ?

Les ouvriers les plus conscients ne réclamaient point l’intervention légale, dans les questions de salaires. Il n’y avait guère que Lyon, où les ouvriers demandassent encore l’établissement d’un tarif ou au moins d’une mercuriale (BB. 30/407). Mais, d’une manière générale, ce que réclamait depuis 1852, dans le domaine économique, le prolétariat français, c’était plus de liberté d’action, c’était une égalité plus réelle devant la loi. Ce qu’il réclamait, c’était le droit de se défendre, c’était le droit reconnu, inscrit dans la loi, de s’associer, d’une manière temporaire dans la grève, d’une manière permanente dans le syndicat professionnel. Dès avant 1860, tel était le vœu de tous ; et l’on peut dire qu’il leur était directement inspiré par les conditions matérielles et morales de leur existence.

Mais c’était bien là le vœu le plus propre à faire hésiter l’Empire. La liberté est ce qui inquiète le plus les gouvernements d’oppression : ils savent selon le mot célèbre qu’on ne peut lui faire sa part. Tant qu’il s’agissait d’assurer à la classe ouvrière du pain et des fêtes, du travail et de la gloire, tout allait bien. Toutes les classes pouvaient y trouver leur compte : et c’était le but de l’Empire de satisfaire toutes les classes. Mais déclarer légales les coalitions, permettre la liberté de la révolte ouvrière, l’Empereur, protecteur