Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/218

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fatalement au régime de taquineries policières, dont les sociétés étaient victimes.

Mais les ouvriers, aussi, n’allaient-ils point être entraînés dans l’engrenage ? N’allaient-ils point cette fois-ci se laisser enrôler dans le socialisme impérial ? — Nous avons tenu à citer presque entière la lettre de Tolain qui fut l’origine du mouvement. Elle est d’une toute autre note que les brochures ouvrières. Elle indique bien dans quel esprit Tolain entrait en relations avec le Palais-RoyaL Beaucoup de ceux qui l’entouraient, qui subissaient son ascendant, étaient des républicains ; tous étaient soucieux de leur indépendance. Ils allaient profiter des faveurs du pouvoir ; ils allaient accepter ses offres. En échange ils ne promettaient rien. C’était comme un droit qu’ils réclamaient la liberté des coalitions et la tolérance des associations.

Les doutes souvent exprimés sur Tolain m’inquiétaient. J’ai interrogé sur leur jeune temps quelques-uns de nos camarades du parti : certains, ceux surtout qui entrèrent dans le mouvement, pendant les dernières années de l’Empire, ont continué depuis lors de considérer Tolain, comme l’agent du Palais-Royal. Ils en sont restés à l’impression des luttes entre la première et la seconde Internationale. Mais ceux qui le connurent dès la première heure, m’ont affirmé qu’il n’en était rien ; qu’il eut pour but précis et clairement vu, non de rallier la classe ouvrière à l’Empire, mais d’obtenir les libertés indispensables à la défense de ses droits, d’utiliser toutes les avances que l’Empire, ayant besoin d’eux, pouvaient faire aux ouvriers. La lettre du 14 octobre 1861, écrite spontanément et sa différence de ton avec les Brochures ouvrières, manifeste clairement déjà les sentiments d’indépendance et de dignité de son auteur. Et le récit qui suivra les établira avec certitude.

Quoiqu’il en soit, par l’intervention du prince Napoléon, l’opinion publique se trouvait saisie. La Commission ouvrière fut constituée le 2 février 1862. Or à ce moment, un grave conflit venait d’éclater dans la typographie parisienne. Les ouvriers y vivaient encore sous le régime des salaires de 1843. Mais depuis onze années, loyers et denrées avaient sans cesse augmenté de prix, nous avons dit dans quelles proportions. Le pouvoir même, à la fin, avait dû s’en émouvoir. Persigny, en janvier 1861, avait écrit au président de la Chambre des maîtres-imprimeurs, Pion, pour lui demander d’étudier la question des salaires ; et le directeur de l’Imprimerie nationale, Petetin, avait pris l’initiative d’un relèvement des prix dans cet établissement.

Après un an de démarches, en décembre 61, les ouvriers avaient enfin obtenu des patrons la réunion d’une commission mixte ; ils avaient nommé leurs délégués ; la première séance avait eu lieu le 9 janvier 1862. Mais les patrons étaient mal disposés.

Entre la première et la deuxième séance de la commission, en véritable provocateur, M. Le Clère, imprimeur, rue Cassette, et délégué suppléant de la Chambre patronale, introduisait dans ses ateliers des femmes compositrices à un salaire inférieur au tarif. Le 21 janvier, il renvoyait six compositrices :