Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/236

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fécond que celui d’épuiser leurs forces dans les luttes journalières, où des deux côtés, les adversaires ne trouveraient en définitive que la ruine pour les uns et la misère pour les autres. Le Tiers-État disait : Qu’est-ce que le Tiers-État ? Rien. Que doit-il être ? Tout ! Nous, nous dirons : la bourgeoisie, notre aînée en émancipation, sut, en 1789, absorber la noblesse et détruire d’injustes privilèges : il s’agit pour nous, non de détruire les droits, dont jouissent justement les classes moyennes, mais de conquérir la même liberté d’action. En France, pays démocratique par excellence, tout droit politique, toute réforme sociale, tout instrument de progrès ne peut rester le privilège de quelques-uns. Par la force des choses, la nation qui possède inné l’esprit d’égalité tend irrésistiblement à en faire le patrimoine de tous.

Tout moyen de progrès qui ne peut s’étendre, se vulgariser de manière à concourir au bien-être général, en descendant jusqu’aux dernières couches de la société, n’est point complètement démocratique, car il constitue un privilège. La loi, doit être assez large pour permettre à chacun isolément ou collectivement, le développement de ses facultés, l’emploi de ses forces, de son épargne et de son intelligence, sans qu’on puisse y apporter d’autre limite que la liberté d’autrui et non son intérêt.

Qu’on ne nous accuse point de rêver lois agraires, égalité chimérique qui mettrait chacun sur le lit de Procuste, partage, maximum, impôt forcé, etc. Non ! il est grand temps d’en finir avec ces calomnies propagées par nos ennemis et adoptées par les ignorants. La liberté du travail, le crédit, la solidarité, voilà nos rêves. Le jour où ils se réaliseront, pour la gloire et la prospérité d’un pays qui nous est cher, il n’y aura plus ni bourgeois, ni prolétaires, ni patrons, ni ouvriers. Tous les citoyens seront égaux en droits.

Mais, nous dit-on, toutes ces réformes dont vous avez besoin, les députés élus peuvent les demander comme vous, mieux que vous ; ils sont les représentants de tous et par tous nommés.

Eh bien ! nous répondrons : Non ! nous ne sommes pas représentés, et voilà pourquoi nous posons cette question des candidatures ouvrières. Nous savons qu’on ne dit pas candidatures industrielles, commerciales, militaires, journalistes, etc. ; mais la chose y est, si le mot n’y est pas. Est-ce que la très grande majorité du Corps législatif n’est pas composée de grands propriétaires, industriels, commerçants, de généraux, de journalistes, etc… etc qui votent silencieusement ou qui ne parlent que dans les bureaux, et seulement sur des questions dont ils ont la spécialité ?

Un très petit nombre prennent la parole sur les questions générales. Certes, nous pensons que les ouvriers élus devraient et pourraient défendre les intérêts généraux de la démocratie, mais lors même qu’ils se borneraient à défendre les intérêts particuliers de la classe la plus nombreuse, quelle spécialité !!! Ils combleraient une lacune au Corps législatif où le travail manuel n’est pas représenté. Nous qui n’avons à notre service aucun de ces moyens, la fortune, les relations, les fonctions publiques, la publicité, nous