Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/237

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sommes bien forcés de donner à nos candidatures une dénomination claire et significative et d’appeler autant que nous le pouvons les choses par leur nom.

Nous ne sommes point représentés : car, dans une séance récente du Corps législatif, il y eut une manifestation unanime de sympathies en faveur de la classe ouvrière, mais aucune voix ne s’éleva pour formuler comme nous les entendons, avec modération, mais avec fermeté, nos aspirations, nos désirs et nos droits.

Nous ne sommes pas représentés, nous qui refusons de croire que la misère soit d’institution divine. La charité, vertu chrétienne, a radicalement prouvé et reconnu elle-même son impuissance, en tant qu’institution sociale.

Sans doute, au bon vieux temps, au temps du droit divin, quand, inspirés par Dieu, les rois et les nobles se prétendaient les pères et les ainés du peuple, quand le bonheur et l’égalité étaient relégués dans le ciel, la charité devait être une institution sociale.

Au temps de la souveraineté du peuple, du suffrage universel, elle n’est plus, ne peut plus être qu’une vertu privée. Hélas ! les vices et les infirmités de la nature humaine laisseront toujours à la fraternité un assez vaste champ pour s’exercer ; mais la misère imméritée (souligné dans le texte), celle qui, sous forme de maladie, de salaire insuffisant, de chômage, enferme l’immense majorité des hommes laborieux, de bonne volonté, dans un cercle fatal où ils se débattent en vain : cette misère-là, nous l’attestons énergiquement peut disparaître, et elle disparaîtra. Pourquoi cette distinction n’a-t-elle été faite par personne ? Nous ne voulons pas être des clients ni des assistés : nous voulons devenir des égaux : nous repoussons l’aumône : nous voulons la justice.

Non, nous ne sommes pas représentés, car personne n’a dit que l’esprit d’antagonisme s’affaiblissait tous les jours dans les classes populaires. Éclairés par l’expérience, nous ne haïssons pas les hommes, mais nous voulons changer les choses. Personne n’a dit que la loi sur les coalitions n’était plus qu’un épouvantail, et qu’au lieu de faire cesser le mal, elle le perpétuait en fermant toute issue à celui qui se croit opprimé.

Non, nous ne sommes pas représentés ; car, dans la question des chambres syndicales, une étrange confusion s’est établie dans l’esprit de ceux qui les recommandaient. Suivant eux, la chambre syndicale serait composée de patrons et d’ouvriers, sorte de prud’hommes professionnels, arbitres chargés de décider au jour le jour sur les questions qui surgissent. Or, ce que nous demandons, c’est d’avoir une Chambre composée exclusivement d’ouvriers, élus par le suffrage universel, une Chambre du Travail, pourrions-nous dire par analogie avec la Chambre de Commerce, et on nous répond par un Tribunal.

Non, nous ne sommes pas représentés, car personne n a dit le mouvement considérable qui se manifeste dans les classes ouvrières pour organiser