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que les trois Français, aidés de Lelubez vinrent exposer leurs idées d’organisation. On a de ce meeting plusieurs comptes-rendus. L’un des plus récemment connus est celui de Lelubez lui-même,dans une lettre à M. Henri Lefort, que M. Tchernoff a publiée dans son livre.

Après un chœur de travailleurs allemands, le professeur Beesley, élu président, prit la parole. C’était un radical anglais qui s’était déjà signalé comme un démocrate éprouvé et qui, en 1861, lors de la grève des maçons de Londres et en plusieurs autres circonstances, avait énergiquement soutenu contre la bourgeoisie manchestérienne les revendications ouvrières. Dans « un speecb éloquent et rempli de sympathie pour les peuples opprimés » écrit Lelubez, il dénonça les actes de violence des gouvernements, leurs violations du droit international ; il condamna l’expédition de Rome, mais n’oublia point celle de Gibraltar ; il stigmatisa la conduite de la Russie en Pologne et en Circassie, mais dénonça la conduite analogue de l’Angleterre en Irlande, en Chine, dans l’Inde et en Nouvelle-Zélande. Il conjura les travailleurs de ne point se laisser égarer par les préjugés patriotiques, mais d’accomplir toujours ce que leur conscience leur indiquait comme juste. Il exprima enfin l’espoir que l’union projetée entre les travailleurs de tous les pays sortirait réalisée de cette assemblée.

Odger lut ensuite l’adresse que les Anglais avaient adressée aux travailleurs parisiens. Et ce fut Tolain qui « avec un vrai chic », qu’admire Lelubez, donna lecture de l’adresse en réponse.

Qu’on nous permette cette dernière longue citation : l’adresse lue à Londres montre à quelles pensées, à quelles conceptions en étaient arrivés les militants parisiens, au moment même où, dans l’Internationale, ils allaient subir de nouveau la forte influence des penseurs socialistes, de Proudhon ou inconsciemment de Marx.

« Frères et amis, disaient les travailleurs de France à leurs frères d’Angleterre, oui, vous avez raison, le sentiment qui nous réunit est l’indice certain d’un meilleur avenir pour l’affranchissement des peuples.

« Il ne faut plus que des Césars, le front souillé d’une couronne sanglante, se partagent entre eux des peuples épuisés par les rapines des grands, des pays dévastés par des guerres sauvages. Une fois de plus, la Pologne est recouverte d’un sanglant linceul et nous sommes restés spectateurs impuissants.

« Un seul peuple opprimé met en danger la liberté des autres peuples. Au nom de sa dignité, tout homme libre ou qui veut l’être doit son concours à ses frères opprimés. Sans doute nous aurons bien des obstacles à vaincre ; il en est plus d’un qui tombera meurtri dans la mêlée. Qu’importe ? A la liberté, au progrès, comme à la terre, il faut l’engrais.

« Donc, ceignons nos reins, préparons-nous avec joie à la lutte. Il faut que le peuple fasse entendre sa voix dans toutes les grandes questions politiques et sociales, signifiant ainsi aux despotes que la fin de leur tyrannique tutelle est arrivée.