formules successives de la candidature ouvrière établira qu’il n’y a point filiation.
D’ailleurs, quelles que soient les formules, ce que nous avons voulu montrer, ce que nous croyons vrai, c’est que le mouvement d’idées qui devait aboutir à la création de l’Internationale procédait directement du premier effort de résistance professionnelle des travailleurs parisiens. Comme des trade-unionistes anglais contemporains, ils n’étaient intervenus dans l’action politique, que pour obtenir une liberté plus grande dans le domaine économique. Leur tentative politique ayant échoué, ils tentaient, dans les conditions mêmes qui leur étaient faites, de donner à leur action économique plus de force par l’alliance avec les travailleurs étrangers.
Évidemment, en février 1864 encore, ils manquaient tout à fait de culture théorique. Mais l’heure était venue où ils allaient comprendre de nouveau toute la portée singulière des théories socialistes. Dans le Conseil général de l’Internationale, Marx allait tenter d’exprimer intellectuellement, et avec une puissance magnifique, tout ce singulier mouvement où il pouvait voir déjà se réaliser en partie l’évolution qu’il avait décrite dans le Manifeste communiste. Et à Paris même, Proudhon auquel les Soixante avaient adressé leur Manifeste, disait, dans son dernier livre, dans cette Capacité politique des classes ouvrières, qui est presque certainement son chef-d’œuvre, l’importance de cette date dans l’histoire du monde moderne.
Comme Marx, Proudhon eut conscience, en effet, que le socialisme venait de se réveiller, que le mouvement ouvrier allait recommencer, pour sa réalisation. Camélinat, tout jeune alors, voyait le grand penseur chaque dimanche, rue du Cherche-Midi, chez Beslay, où venaient aussi Chaudey et Duchène. Quand Proudhon lut le manifeste, m’a raconté notre camarade, il en fut aussitôt enthousiaste ; il déclara qu’il « allait écrire un livre dessus ». Très souffrant déjà, souvent interrompu dans son travail par des crises d’asthme (il devait mourir au printemps de 1865) il écrivit sous l’inspiration des ouvriers de Paris et de Rouen qui l’avaient consulté, il écrivit donc pour eux, cet admirable résumé testamentaire de sa pensée. Nous retrouverons sa doctrine, exprimée et déformée par ces nouveaux et zélés disciples, dans les Congrès de l’Internationale. Ce que nous devons marquer ici, ce fut la conception qu’il eut de son livre. Il avait compris, comme Marx, le caractère spontané du mouvement ; il avait senti, comme lui, qu’une classe ouvrière consciente était née ; il eut la préoccupation de lui donner une idée, celle de la « démocratie nouvelle », celle du mutualisme, où il résuma sa pensée.
« Pour qu’il y ait dans un sujet, individu, corporation ou collectivité, écrivait-il, capacité politique, trois conditions fondamentales sont requises : 1° Que le sujet ait conscience de lui-même, de sa dignité, de sa valeur, de la place qu’il occupe dans la société, du rôle qu’il remplit, des fonctions auxquelles il a droit de prétendre, des intérêts qu’il représente ou personnifie ;