Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/266

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Vaguement, vers cette fin de 1863, Napoléon III sentait que sa puissance déclinait, qu’il n’avait plus vis-à-vis de l’Europe l’autorité ni le prestige de 1856. Plus tard, il s’illusionnera : il cherchera à se tromper et à tromper les autres par la hauteur de ses paroles ; alors, il pressentit la vérité. Il avait acquis naguère gloire et puissance par la guerre ; il chercha à reconquérir sa prépondérance ébranlée par la paix. À l’heure où, de toutes parts, les ambitions nationales se faisaient jour, il tenta de les satisfaire par un remanîment pacifique de l’Europe, par un Congrès. Et, prenant une initiative curieuse et chimérique, il poussa en même temps l’Europe ainsi remaniée et, pensait-il, satisfaite, à réduire ses armements.

Le 3 novembre 1863,le Napoléon Ier, en petit chapeau et en redingote qui surmontait la colonne de bronze de la place Vendôme, était descendu, remplacé par un Napoléon costumé en empereur romain : ces Empereurs-là avaient su fermer le Temple de la Guerre. Le lendemain, le neveu du grand conquérant proposait aux princes européens d’assurer l’avenir par un Congrès. Les traités de Vienne étant détruits, modifiés ou menacés, « il ne restait plus que des devoirs sans règle, des droits sans titres et des prétentions sans frein ». Il fallait rendre un droit à l’Europe, et lui permettre ainsi de « réduire des armements exagérés entretenus par de mutuelles défiances ». « Nos ressources les plus précieuses, ajoutait l’Empereur, doivent-elles indéfiniment s’épuiser dans une vaine ostentation de nos forces ? Conserverons-nous éternellement un état qui n’est ni la paix avec la sécurité, ni la guerre avec ses chances heureuses ? » — Quelle manifestation singulière en vérité que cette lamentation anticipée sur la paix armée, écrite par le souverain même dont la politique allait bientôt imposer à toute l’Europe et pour de si longues années ce régime néfaste !

Un remanîment pacifique des traités de 1815, par un Congrès diplomatique, tel était le rêve irréalisable que, pendant près de sept ans, au milieu du déchaînement des passions nationales, allait poursuivre cependant le pauvre rêveur fatigué. Plus le régime institué en décembre perdait de force intérieure et plus il devait faire de concessions à la liberté, plus aussi il s’efforçait d’assurer sa solidité par le rétablissement de la gloire française, par cette destruction des traités de 1815 que le nationalisme populaire avait en horreur. À partir de 1863, les traités de 1815 allaient être le thème constant de tous les discours du trône à presque toutes les sessions.

Mais l’Europe n’était point disposée à ces remanîments territoriaux. Comme l’écrivait Palmerston, lors de la proposition de Congrès, « ceux qui possédaient leur domaine par un titre valide, depuis près d’un demi-siècle, n’étaient point désireux de voir ce titre discuté et exposé à toutes les revendications de frontières, que de bons voisins pouvaient avoir envie de proposer ». Une à une, les puissances déclinèrent l’offre napoléonienne, et il n’y eut guère que la Prusse qui sembla l’accueillir avec quelque faveur. C’est qu’elle aussi désirait le remanîment des traités de 1815. Mais