l’homme qui présidait déjà à ses destinées savait que dans l’Europe nouvelle, où les nationalités réveillées faisaient valoir leurs droits historiques opposés et contradictoires, ce n’était point d’un Congrès ou d’une Conférence pacifique, qu’un État pouvait attendre la satisfaction de ses ambitions. Tandis que l’Empereur français gaspillait les forces de sa nation, M. de Bismarck assurait celles de la Prusse : ses collaborateurs, Roon et de Moltke, la dotaient d’une puissante organisation militaire ; depuis l’affaire de Pologne, il avait acquis l’alliance russe, et du même coup, il avait porté une première atteinte à la prépondérance française. Il avait les mains libres en Europe. Dès les premiers mois de 1864, il pouvait commencer de réaliser le projet traditionnel de la monarchie prussienne : l’unité allemande sous son hégémonie.
Il ne nous est point possible de retracer ici ni les origines de l’étonnant hobereau prussien qui allait bientôt emplir le monde européen de son nom, ni les démêlés que depuis 1815 la Prusse avait connus avec l’Autriche ou la foule des petits princes allemands.
Prenons le royaume et son vrai chef en cette fin de 1863 : Bismarck, alors âgé de 48 ans, premier ministre du roi Guillaume depuis l’automne de 1862, et ministre absolutiste, menant la bataille avec acharnement, contre les libéraux, contre les professeurs, qui prétendent discuter le budget, contrôler la monarchie, alors que l’Allemagne n’a cure que « de la force de la Prusse et non de son libéralisme » ; — la Prusse, d’autre part, déjà pourvue d’une armée puissante, capable d’imposer par une menace la signature d’un traité de commerce à la Bavière et au Wurtemberg (octobre 1862), et parlant haut à l’Autriche.
Le 15 novembre 1863, la mort du roi de Danemark, Frédéric VII, allait être pour la Prusse la première occasion de passer aux actes. Il y avait, incorporés au Danemark, deux duchés, le Schleswig et le Holstein, dont les patriotes allemands avaient tenté vainement de s’emparer de 1848 à 1850. Frédéric VII avait battu les troupes fédérales ; il avait gardé la possession des duchés. Bien plus, comme il était sans enfants, comme des droits de succession différents dans le royaume et dans les duchés pouvaient rouvrir la question à sa mort, les grandes puissances, intervenant, avaient décidé, par un protocole signé à Londres en mai 1852, que Christian de Glucksbourg, mari de la nièce du roi, serait héritier de toute la monarchie, y compris les duchés. Depuis lors cependant le conflit ne s’était pas apaisé ; Frédéric VII avait connu, en Schleswig et en Holstein, de nombreuses difficultés administratives et les patriotes allemands, hommes aux ambitions tenaces, n’avaient cessé de réclamer la reprise des duchés.
A la mort de Frédéric VII, Christian de Glucksbourg, Christian IX, devint roi en Danemark ; mais, au mépris du protocole de Londres, les duchés proclamèrent comme leur souverain le duc d’Augustenbourg. Bismarck ne se souciait pas de créer en Allemagne un nouvel État indé-