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établir une Europe nouvelle ; et c’était vers elle qu’il se sentait invinciblement attiré.

En octobre 1865, Bismarck vint à Biarritz. Il vit l’Empereur ; causa avec lui de la situation de l’Europe. « Si l’Italie n’existait pas, disait-il au retour, il faudrait l’inventer ». L’Italie fut, en effet, à la base de toute la combinaison. Pour résoudre la question romaine, si embarrassante pour lui et à l’extérieur et à l’intérieur, Napoléon sacrifia la Confédération germanique. La Vénétie fut le prix de la neutralité française. Et la combinaison devait plaire à Bismarck : l’Italie, comme alliée, était moins compromettante que la France ; livrer des terres italiennes était plus facile que de livrer des terres allemandes ou tenues pour telles.

Son plan d’action d’ailleurs était déjà formé et l’imprécision même des engagements français ne devait point l’arrêter. Il incorporerait le Holstein. Si l’Autriche cédait, la prépondérance prussienne se trouverait ainsi immédiatement affirmée. Si elle résistait, il l’y contraindrait, par la guerre, et avec l’aide de l’Italie.

En janvier 1866, comme l’Autriche laissait les partisans d’Augustenbourg intriguer en Holstein, Bismarck lui envoya une mise en demeure d’avoir à les faire cesser. Le 7 février, le gouvernement de François-Joseph relevait le défi. Bismarck aussitôt hâta les pourparlers avec l’Italie. Le 28 février. Napoléon III, toujours hanté de son idée italienne, faisait dire par Nigra au ministre La Marmora : « Il est indispensable que vous poussiez hardiment la Prusse à la guerre et que vous vous mettiez vous-même en état de la faire » ; et les Italiens hésitant, il leur donnait sa parole de les garantir contre tous risques. Le 8 avril, le traité d’alliance offensive et défensive était signé entre la Prusse et l’Italie.

Au même temps, ne négligeant aucun moyen, Bismarck entamait en Allemagne toute une campagne libérale et patriotique. Sûr désormais du côté diplomatique, il allait tenter de se faire reconnaître par les libéraux allemands de tous pays, par les patriotes de tous les États, comme le vrai représentant des intérêts allemands.

Ainsi, par l’intrigue napoléonienne au service de la volonté prussienne, l’Europe allait se trouver bouleversée de nouveau. Cette fois, définitivement, les traites de 1815 allaient être anéantis. Mais, était-ce bien dans l’intérêt de la France ? L’œuvre révolutionnaire des nationalités devait évidemment s’accomplir. Il était dans les traditions de l’État français de n’y point faire obstacle. Mais le gouvernement français devait-il y chercher profit et gloire, devait-il tenter de la tourner à son intérêt personnel ? D’autre part, s’il voulait agir, s’il voulait se servir de cette grande occasion, il devait être fort. L’était-il encore ?

A la veille même de ce conflit imminent, l’opinion française s’inquiéta. On sentait vaguement déjà que l’Empire autoritaire avait fait faillite. L’opposition parlementaire croissait en force et en vivacité ; et les préoccupa-