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Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/278

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Ollivier l’avait souligné : reprenant un mot de Mallet-du-Pan, il avait dénoncé le « pessimisme » de la gauche, « cette maladie qui, lorsqu’on se trouve en présence d’un gouvernement qu’on n’approuve pas, consiste, au lieu de prendre ce qui est bien et de blâmer ce qui est mal, à tout attaquer, à tout critiquer, surtout le bien, parce qu’il profite à ceux qui le font ». — Et Jules Favre avait répondu : « Il n’y a, quoi qu’en dise Mallet-du-Pan, que deux écoles en politique, celle des principes et celle des expédients ». Il se déclarait de la première : il laissait entendre qu’Ollivier était de l’autre. « Il faut, disait en terminant le noble avocat, que chacun ait le courage de son opinion : nous rejetons l’équivoque. On a fait appel aux amitiés qui restent aux personnes, mais qui ne sauraient rien changer aux opinions qui ne cessent pas d’être les nôtres. Il faut qu’on nous dise comment on a abandonné d’anciennes opinions en proposant aujourd’hui ce qui les contredit absolument ». Au milieu d’une vive émotion, pendant plusieurs séances, le débat se poursuivit. Une grande séparation était imminente. Tout le parti républicain s’en occupa : et l’anecdote fut souvent contée de Jules Favre tendant la main à Ollivier, à la sortie du Corps législatif, d’Ollivier hésitant, puis se ravisant, tendant la sienne, Jules Favre enfin, retirant la main en disant : Il est trop tard !

M. Ollivier, séparé de la gauche, allait poursuivre sa route vers la fortune. En mars 1865, lors de la discussion de l’adresse, il déclarait « qu’il ne regrettait pas d’avoir employé toutes les forces de sa volonté à conclure une alliance durable entre la démocratie et la liberté par la main d’un pouvoir fort et national » ; et, par un vote « d’espérance », il confondait son bulletin avec ceux de la majorité. En récompense, le néophyte impérialiste était reçu à la cour, flatté, choyé de toutes manières ; mais Rouher lui barrait la route, et Walewski n’était point assez fort pour l’aider à passer l’obstacle. La sympathie impériale suffisait cependant à assurer à Ollivier des partisans. La session de 1866 permit de constituer définitivement le tiers-parti.

Dès le début de la discussion sur l’adresse, Thiers avait repris et précisé sa thèse des libertés nécessaires. Il avait dégagé les conséquences des principes de 89, donnés, par la Constitution de 1852, comme la base et la garantie du droit public français. Et il avait décrit à quoi tendait tout le système savamment édifié depuis 1852 : à détourner la nation de ses propres intérêts politiques. Les problèmes de la politique étrangère eux-mêmes lui fournissaient des arguments que ne pouvait accepter la gauche : en ce qui concerne l’Italie ou la Pologne, il restait décidément trop conservateur, trop réactionnaire. Mais ces arguments-là pouvaient achever de convaincre les hommes ébranlés de la majorité.

La gauche sentait de son côté qu’elle pouvait accentuer ses affirmations libérales : par un amendement, dont les signataires allaient de Havin et Guéroult à Carnot, Garnier-Pagès, et Dorian, elle réclama une presse libre, des élections libres, des municipalités libres, des fonctionnaires