pensée de réaction contre la propagande révolutionnaire. Mais ils n’en avaient pas moins garanti pour des années la paix européenne ; ils avaient obligé les gouvernements à respecter longtemps les engagements mutuels, et ils les empêchaient encore d’utiliser pour leurs intérêts particuliers, ou même pour le développement de leur domination sur leurs propres peuples, les poussées nationales et démocratiques qui se manifestaient partout. L’œuvre des nationalités a été pendant tout le XIXe siècle une œuvre de violence et de guerre. Les peuples réveillés ont été excités les uns contre les autres ; et les théories des professeurs, appuyées sur la force militaire, ont été substituées au droit des peuples de disposer d’eux-mêmes, de se grouper selon leurs affinités. Il appartenait à la France, au pays dont l’unité nationale était accomplie, d’arrêter l’Europe sur la route de la violence. Et il eût été de l’intérêt même du Second Empire de suivre cette politique.
Au contraire, il avait cherché à se fortifier à l’intérieur, en assurant de la gloire aux Français. Pour flatter les libéraux, il avait aidé Cavour, et il poussait Bismarck à la lutte contre l’Autriche. Il aidait à la création d’États forts sur les frontières de France, puis, pour opposer force à force, il cherchait des dédommagements, des compensations. À la politique de réflexion et de prudence qui était celle de Thiers, qui était la politique traditionnelle des hommes d’État conservateurs, honnie des libéraux et même des républicains, il préférait la politique d’aventure et de gloire, qui devait flatter et déchaîner les instincts nationalistes.
Le 6 mai, dans un concours régional à Auxerre, l’Empereur, à son tour, faisait appel au peuple contre Thiers. Remerciant le maire d’Auxerre des paroles de bienvenue qu’il lui avait adressées, « j’ai d’ailleurs, disait-il, envers le département de l’Yonne une dette de reconnaissance à acquitter. Il a été un des premiers à me donner ses suffrages en 1848 : c’est qu’il savait, comme la grande majorité du peuple français que ses intérêts étaient les miens et que je détestais comme lui ces traités de 1815, dont on veut faire aujourd’hui l’unique base de notre politique extérieure. Je vous remercie de vos sentiments. Au milieu de vous je respire à l’aise, car c’est parmi les populations laborieuses des campagnes que je retrouve le vrai génie de la France ».
Qu’elle est étrange, cette confusion des idées et des sentiments, au moment même où, dans le drame austro-prussien, allaient se jouer outre-Rhin les destinées de la France ! Thiers, incontestablement, en dénonçant le gouvernement prussien comme fauteur de guerre, en déchirant le voile des déclarations libérales et patriotiques dont Bismarck désormais usait et abusait, en révélant les convoitises brutales des Hohenzollern, servait les intérêts de la France. Lorsqu’il demandait au gouvernement de parler à la Prusse un langage énergique, ou de lui refuser nettement tout concours, ou enfin de retenir l’Italie sur la voie de l’alliance, il indiquait la seule politique