Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/29

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Peut-être ce manifeste était-il une émanation plus directe de la pensée populaire, puisqu’il était écrit par des militants ouvriers. Mais on sera frappé de voir qu’il ne contient rien de spécifiquement ouvrier, rien de socialiste. Au moment où ils défendaient la République en 1851, les ouvriers semblaient avoir perdu la notion de son importance pour leur émancipation. Conséquence dernière de Juin : la République, en 51, n’apparaissait plus désormais comme le moyen, comme l’outil de l’émancipation ouvrière : quelques vagues réformes sociales semblaient devoir contenter les militants. Les ouvriers qui agirent au 2 Décembre n’agirent que comme républicains ; dans la défense même de la République, ils ne découvraient plus leur intérêt de classe.

Quoi qu’il en soit, l’après-midi du 3, la résistance se dessinait : M. de Maupas, de plus en plus inquiet, constatait que « les sympathies populaires n’étaient pas avec l’Elysée », qu’on « ne rencontrait d’enthousiasme nulle part » et il accueillait les bruits les plus fous. MM. de Morny et St-Arnaud prenaient leurs mesures : à trois heures, les Parisiens apprenaient par les affiches nouvelles que les rassemblements seraient dispersés par la force, et que « tout individu pris construisant ou défendant une barricade, ou les armes à la main, serait fusillé ». C’était la première fois que dans les guerres de rue, on voyait un ministre décréter à l’avance que tout individu, pris construisant une barricade, serait fusillé.

Sans prendre seulement la peine de déchirer les affiches qui les condamnaient à mort, les républicains s’armèrent. À quatre heures, les premiers coups de fusil furent tirés.

Le soir, entre la rue du Temple et la rue Rambuteau, les troupes enlevèrent les barricades, dans toutes les petites rues : elles étaient immédiatement réoccupées. Vers 9 heures, il fallut un combat pour reprendre celles de la rue Beaubourg : 60 ou 80 républicains furent pris, plusieurs fusillés sur le champ. Au quartier latin, les étudiants s’agitaient. Sur les boulevards, de la Chaussée d’Antin au faubourg du Temple, malgré les patrouilles et les charges de cavalerie, les rassemblements se formaient et se reformaient. Les rares personnes qui, dans les groupes, osaient exprimer des opinions favorables au président, étaient menacées, maltraitées même. Et c’était avec joie qu’étaient accueillies les nouvelles, souvent fausses, qui étaient fâcheuses pour l’Élysée. Quand le colonel de Rochefort, à la tête de deux escadrons, parcourut les boulevards pour y maintenir la circulation, ce fut par les cris de « Vive la République ! » qu’il fut accueilli. Au Château-d’Eau, on cria : « Vive l’Assemblée nationale ! À bas les traîtres ! » Là, le colonel chargea et des cadavres restèrent sur le pavé. À l’approche de la nuit la révolte grondait partout, comme un orage encore lointain, mais qui montait, des divers points de l’horizon. « De sept heures à minuit, racontait plus tard l’ancien constituant X. Durrieu, tout mon espoir m’était revenu ».

Dans les deux camps, des conseils de guerre furent tenus. Celui de