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Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/28

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restait inactive, sinon indifférente. Une frêle barricade fut élevée : pour la défendre, on avait vingt-deux fusils arrachés à des soldats. Bientôt la troupe arriva, trois compagnies d’infanterie : résister était une folie ; quelques-uns se retirèrent. Huit représentants étaient demeurés : Baudin, Brillicr, Bruckner, de Flotte, Dulac, Maigne, Malardier et Schœlcher.

Sept d’entre eux s’avancèrent au-devant des troupes ; M. Schœlcher réclama des officiers leur concours pour faire respecter la loi du pays. Ceux-ci ordonnèrent à la troupe d’avancer. Les soldats bousculèrent les représentants. Un coup de feu partit de la barricade : le premier rang des soldats répondit par une décharge générale. Baudin qui était demeuré debout sur la barricade tomba, mortellement frappé ; avec lui un ouvrier. La bourgeoisie a célébré l’héroïsme du premier ; elle a oublié l’autre, sans doute, lorsqu’elle vint plus tard accuser la classe ouvrière d’avoir trahi la République au 2 décembre. Mais elle a oublié aussi que Baudin était pénétré de la pensée socialiste ; elle a oublié qu’il avait été l’ami, le disciple du vieux Teste ; elle n’a pas voulu marquer qu’il était le digne représentant de cette génération de 1852, pour qui les réformes sociales étaient inséparables de la liberté politique.

Baudin mort, les autres représentants se retirèrent, salués, acclamés ; mais c’était tout. On ne répondait pas à leur appel aux armes.

L’après-midi, pourtant, la nouvelle de la mort de Baudin commença d’agiter la population parisienne. Dans les quartiers laborieux, dans le quartier classique de la barricade et de l’émeute, rue Grenéta, rue Transnonain, rue Bourg-l’Abbé, rue Beaubourg, des barricades étaient improvisées. À Belleville, Madier-Montjau et Jules Bastide, par leurs appels et leurs affiches, déterminaient un commencement de résistance. D’autres affiches où se reconnaissait le style de Victor Hugo, rappelaient à l’armée ses traditions, au peuple son devoir révolutionnaire.

Un groupe surtout semblait actif, groupe mi-bourgeois, mi-ouvrier encore, où se rencontraient Jules Leroux, député, Desmoulins, typographe, Gustave Naquet, réfugié politique à Londres qui venait d’arriver au risque d’être reconnu à la frontière, Bocquet, Nétri, et quelques délégués des corporations ouvrières. Par une affiche signée du Comité central des corporations, ils rappelaient la mutilation du suffrage universel en 1850 et l’espoir qu’ils avaient conçu pour 1852. Ils dénonçaient l’homme qui, sous prétexte de rendre au peuple ses droits, tentait d’établir une dictature militaire, et qui, pour maintenir la République, jetait en prison les républicains. « Il appelle le peuple à une élection, et il le place sous l’état de siège : il rêve on ne sait quel escamotage perfide qui mettrait l’électeur sous la surveillance d’une police stipendiée par lui… Il est prêt, dit-il, à se démettre du pouvoir, et il contracte un emprunt de vingt-cinq millions, engageant l’avenir sous le rapport des impôts, qui atteignent indirectement la subsistance du pauvre ».