Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/292

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

la guerre ; ce fut le premier aveu de sa faiblesse. Bismarck en profita immédiatement pour dénoncer aux États du Sud méfiants l’avidité de la France et leur arracher la signature de conventions militaires avec la Prusse.

La leçon eût dû servir. C’était s’exposer à toutes les avanies et à toutes les haines que de réclamer ce qu’on n’était pas capable de prendre. Mais la diplomatie française semble alors frappée de démence. Tenté par Bismarck lui-même, qui dès lors songe à se servir de toutes ses démarches, Napoléon III le 20 août, propose d’autres conventions. Il attend naïvement de Bismarck le prix de sa neutralité : l’occupation de Luxembourg, et par une convention secrète, le droit de faire entrer ses troupes en Belgique.

L’apôtre du droit des peuples va donc conquérir à son tour comme M. de Bismarck ; la Belgique est pays de langue française, comme les duchés l’étaient de langue allemande : la Prusse doit à la France sa neutralité. Mais sa propre méthode ne semble tolérable à Bismarck que lorsqu’il la pratique lui-même ; et, en admettant même qu’il accepte la conquête française, que dira donc l’Europe, garante de la neutralité belge ? que dira surtout l’Angleterre ? — Il a suffi de l’effroi rétrospectif du peuple anglais quand il apprit le danger couru, en 1870, pour nous priver de son appui. Qu’aurait-il fait, en 1866, en voyant Anvers devenir français ?

Politique de contradictions perpétuelles, politique de violence et d’injustice, c’est tout ce que trouvent désormais les hommes d’État en désarroi du Second Empire.

Toute cette fin de 1866 apparaît vraiment lamentable. En octobre, après quatre mois d’insistance, la diplomatie française, dirigée maintenant par le marquis de Moustier, voit Bismarck reculer, se dérober à tout concours effectif, et peu après refuser même la neutralité armée, si la France entre en Belgique.

Alors, au début de 1867, Napoléon III, déçu, se rabat sur une autre indemnité plus maigre, le Luxembourg : « le chemin de Bruxelles à défaut de la Belgique ». Propriété personnelle du roi de Hollande, le Luxembourg était occupé depuis 1815 par une garnison prussienne. L’Allemagne du Nord devenant prussienne, le Luxembourg (et d’autre part le Limbourg) qui se trouvait dans des conditions analogues se trouvaient menacés d’incorporation. En janvier 1867, les Hollandais offrirent le Luxembourg à Napoléon III contre une indemnité, et à condition qu’il obtint de la Prusse sa renonciation formelle aux droits de l’Allemagne sur le Limbourg. Les Luxembourgeois acceptaient l’annexion (février) : l’affaire semblait sûre.

C’est alors qu’à la fin de mars le patriotisme germanique se souleva : les Hollandais avaient demandé un acquiescement du roi de Prusse avant de céder le Luxembourg à la France. Le roi de Prusse hésitait à le donner, et cependant n’osait refuser, quand le 1er  avril, les libéraux patriotes, par l’organe du Hanovrien Bennigsen, le sommèrent, lui et ses ministres, de s’opposer, au besoin même par la guerre, à toute diminution de la patrie