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Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/332

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Les manifestations de toutes sortes qui s’étaient produites avant le Congrès ne pouvaient laisser subsister aucun doute : il allait constituer comme disaient les journaux, les Assises de la démocratie européenne. Reform-League et Trade-Unions anglaises, socialistes de Belgique, ouvriers allemands, démocrates italiens et espagnols avaient adhéré avec enthousiasme. Et beaucoup de délégués au Congrès de l’Internationale se trouvaient en même temps délégués au Congrès de Genève. Lors donc que la question de l’adhésion officielle de l’Internationale au Congrès de la paix, vint en discussion, le Congrès adopta une adresse d’adhésion, et il chargea Tolain, de Paepe et James Guillaume d’aller la porter à Genève.

L’adresse rappelait que la guerre pèse principalement sur la classe ouvrière, que la paix armée paralyse les forces productives ; « que la paix, première condition du bien-être général, doit à son tour être consolidée par un nouvel ordre de choses qui ne connaîtra plus dans la société deux classes dont l’une est exploitée par l’autre ». Et ce fut Tolain qui fit voter l’adjonction suivante : « Le Congrès, considérant que la guerre a pour cause première et principale le paupérisme et le manque d’équilibre économique ; que, pour arriver à supprimer la guerre, il ne suffit pas de licencier les armées, mais qu’il faut encore modifier l’organisation sociale dans le sens d’une répartition toujours plus équitable de la production ; subordonne son adhésion à l’acceptation par le Congrès de la paix de la déclaration ci-dessus énoncée ». Ainsi les Internationaux adhéraient au Congrès de la paix ; mais ils y apportaient une affirmation nouvelle, à laquelle ils demandaient au Congrès lui-même d’adhérer. La liberté politique, à elle seule, ne leur paraissait pas capable de garantir la paix ; il fallait qu’elle s’ajoutât à la justice sociale. La démocratie bourgeoise le comprendrait-elle ?

Fribourg a dit (l’Association internationale, p. 115) que, si l’Internationale entra ainsi officiellement en relations avec une société politique, c’est qu’en présence des attaques incessantes dont elle était l’objet, les délégués crurent devoir donner « des gages » au parti républicain.

Il se peut qu’après coup, on y vit cet avantage. Mais on ne peut oublier l’état d’esprit que nous avons signalé chez les délégués des autres sections. On ne peut oublier que dès 1866, et en 1867 encore, à l’occasion de l’affaire du Luxembourg, avant les démocrates bourgeois eux-mêmes, les Internationaux parisiens exprimaient dans leurs adresses exactement les idées qui furent reprises à Lausanne. Et il suffit de se rappeler leurs relations de plus en plus entretenues et étendues avec la jeunesse politique, pour comprendre l’évolution profonde qui s’accomplissait dans leurs esprits et qui les poussait peu à peu à franchir les limites de la prudence.

Mais il est aussi très caractéristique que, par le développement d’une pensée déjà incluse au Manifeste des Soixante, et que le développement de l’opposition républicaine rendait de jour en jour plus actuelle, Tolain lui-même songea à poser aux démocrates bourgeois la question de la réorga-