Aller au contenu

Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/354

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

socialistes, but principal, ne seraient jamais qu’incomplètes et peu solides. Les poursuites de l’administration impériale avaient exercé sur leurs idées et leurs sentiments une toute autre influence que sur ceux de Tolain et de Chemalé. Ils se formaient peu à peu du mouvement révolutionnaire une conception nette et compréhensive que nous allons voir bientôt se préciser et se développer.

Quelques jours après le Congrès de Bruxelles, se réunissait à Berne le Congrès de la Ligue de la Paix. Depuis un an, depuis le Congrès de Genève, à l’intérieur même du comité de la Ligue, la bataille était engagée entre le libéralisme bourgeois ou le radicalisme de la majorité et les idées socialistes et révolutionnaires de la minorité, à laquelle appartenait Michel Bakounine. Force nous est, ici encore, de passer brièvement. Il n’est point de socialiste qui ignore ces faits classiques. Au Congrès (21-25 septembre), Bakounine déposa un projet de résolution déclarant que la question la plus impérieuse était celle de « l’égalisation économique et sociale des classes et des individus » et « qu’en dehors de cette égalisation, c’est-à-dire en dehors de la justice, la liberté et la paix n’étaient pas réalisables ». Chaudey et Fribourg combattirent la résolution et la firent rejeter. Alors, le 25, la minorité socialiste se sépara de la Ligue : Élisée Reclus, Aristide Rey, Ch. Keller, Jaclard, Albert Richard, suivaient Bakounine. La minorité créa aussitôt l’Alliance internationale de la démocratie socialiste. Elle « se constituait en une branche de l’association internationale des travailleurs, dont elle acceptait tous les statuts généraux » ; mais elle devait s’étendre à tous les pays et avoir dans chacun un Bureau national.

Le 22 décembre, le Conseil général de l’Internationale refusait d’admettre l’Alliance comme une branche particulière ; puis, le 5 mars 1869, par une nouvelle décision, plus explicite, il se déclarait prêt à admettre séparément les sections de l’Alliance converties en sections de l’Internationale. L’Alliance se soumit ; le bureau central fut dissout. Les fondateurs écoutèrent les conseils que leur envoyait dans une lettre admirable César de Paepe. Ils ne formèrent plus qu’une section genevoise. Mais ils avaient déjà rédigé un programme (J. Guillaume, p. 132), où l’Alliance se déclarait athée, où elle demandait l’abolition de l’héritage, où elle « reconnaissait que tous les États politiques et autoritaires existants… devraient disparaître dans l’union universelle des libres associations, tant agricoles qu’industrielles ». Dans le domaine des théories, tout au moins, la lutte entre bakouninistes et marxistes allait commencer.

Sur l’heure, en cette fin de 1868, la querelle à peine naissante ne pouvait exercer d’influence sur l’Internationale française. Mais peu à peu, des Internationaux comme Albert Richard, comme Varlin, entraient en relations avec Bakounine ou avec ses amis, et un peu de la méthode et des habitudes bakouninistes devaient pénétrer les sections françaises. Le socialiste russe leur apprenait comment, dans les sociétés ouvrières ou dans les grands mouvements