Bastelica, âme ardente, vrai poëte, prompt à l’enthousiasme comme au découragement, orateur de haut vol et de connaissances étendues, était capable de comprendre le travail nouveau qu’Auhry et Richard se proposaient de commencer.
Restait Paris. Malgré tout, on ne pouvait rien sans lui. Malon et Varlin sortaient de prison. Un voyage de Malon à Genève, à la fin de 1868, lui permit de se rencontrer avec Richard. Les deux vaillants militants parisiens allaient bientôt exercer sur le petit groupe ainsi formé une influence décisive.
Malon avait alors 26 ans. Ce descendant de « robustes et durs paysans du haut Forez », Fragments de mémoires, Revue socialiste, janvier 1907), calme, plein de sang-froid, capable de réflexion et d’observation, convaincu qu’il faisait partie de la génération des précurseurs, de ceux qui seraient sacrifies, poursuivait avec « une prudence habile, une vertu impeccable et un courage sans éclat », la tâche rude, souvent ingrate, et parfois si réconfortante de l’organisation ouvrière. En 1866-67, Malon avait pris part à tout le mouvement coopératif qui entraînait les travailleurs parisiens. La Revendication de Puteaux, la grande coopérative encore si prospère aujourd’hui, était en grande partie son œuvre.
Varlin, son ami, son compagnon de toutes les heures, est certainement la figure la plus attirante de cette époque. Né à Claye (Seine-et-Marne) le 5 octobre 1839, fils d’un cultivateur assez à l’aise, il avait été placé à treize ans en apprentissage chez un relieur. Pris d’une grande faim de savoir, il avait commencé de lire, d’apprendre tout ce qui lui semblait utile ou beau, même le latin et le grec. Les dures nécessités matérielles avaient interrompu ces études. « Bien qu’il n’y ait pas de ma faute, disait-il plus tard, il m’est pénible de ne rien savoir ». Il savait moins, en effet, que Malon ou Aubry. « Il n’avait ni l’exceptionnelle activité cérébrale du premier, ni la puissance d’observation et le sens pratique du second » (Richard, loc. cit. p. 650). Mais comme eux, il était simple, doux et dévoué ; on le savait réfléchi et persévérant. Et il suffisait qu’il parût dans un groupe pour qu’on l’aimât. Ceux qui l’ont connu, comme Faillet, ont gardé le souvenir de ses yeux noirs et vifs, sous le vaste front encadré d’une chevelure abondante, de son air modeste et affable. Ouvrier habile et coté, il avait conduit en 1864 la grève des relieurs, et ses camarades, dans un geste touchant de reconnaissance, lui avaient offert une montre en argent. Mais, depuis lors, tous les ateliers lui avaient été fermés. Il s’était installé dans une petite mansarde, 33, rue Dauphine, et il s’était mis courageusement à la besogne, passant une partie de la nuit à relier, occupant la journée à faire de la propagande, à recruter des membres pour l’Internationale. Il avait fondé la Ménagère, il fonda plus tard la Marmite, le petit restaurant coopératif qui devait devenir un foyer de propagande socialiste. Nous l’avons vu plus haut défendre l’Internationale, accuser la société inique lors du procès de la deuxième commission. Sorti de prison, il allait se remettre à l’œuvre. Avant 1868, il n’était guère qu’un