Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/362

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Rochefort. Les candidats ouvriers, même les plus populaires comme Briosne, le héros des réunions publiques, qui se présenta à Paris, avaient peu de chances de succès.

Bien faible apparaissait donc au milieu du puissant mouvement électoral la tendance purement ouvrière. Et les militants de l’Internationale avaient trop l’intelligence des mouvements populaires pour s’attarder longtemps à des méthodes inefficaces, que ce fût celle de l’abstention ou celle des candidatures ouvrières.

Les uns et les autres ne tardèrent pas alors à renoncer à la candidature ouvrière, et penchèrent à appuyer les candidats les plus radicaux, en se contentant de proclamer leurs conceptions particulières et les conditions qu’ils posaient aux candidats de la gauche. Dès le 10 février 69, Aristide Rey écrivait à ce sujet à Richard : « Quoi de la candidature ? Écris-moi quelques lignes à ce sujet. Comme je te l’ai dit, je la regarde comme inopportune. Nous nous sommes compromis en cette affaire, et il importe de nous en tirer dignement par une lettre ou une manifestation quelconque ».

Et quelques jours plus tard, comme Richard, vu le peu d’enthousiasme rencontré par l’idée de candidature ouvrière, inclinait à l’abstention, il lui écrivait : « Tout bien considéré, je ne pense pas que nous devions parler d’abstention en ce moment, et cela pour deux raisons. Premièrement, il me semble que le grand courant est au vote. D’après les indices actuels, il est probable qu’il y aura en mai une levée générale des gens de 48. Jeunes et vieux suivront ce mouvement. Ce sont les vaincus d’il y a vingt ans qui reviennent au combat. Il ne s’agit point encore de l’idée moderne. Ce ne sont point encore les générations nouvelles qui entrent dans l’arène. Cela est évident ; mais ce sont ceux qui avaient douté qui reprennent courage, ce sont ceux qui autrefois se reposaient dans notre attente et qui ne nous voyant pas venir, qui ne sachant pas nous deviner, reprennent de leurs mains de vieillards l’épée qu’aucun bras n’a su lever encore depuis la défaite de juin et les massacres de décembre. Que sortira-t-il de là ? Rien à mon avis. Ces gens qui n’ont rien appris, s’ils n’ont rien oublié, dépenseront leurs colères en éloquents bavardages et en vaines récriminations. Impuissants alors qu’ils étaient jeunes à empêcher l’avènement de l’Empire, vieillards ils seront impuissants à le renverser. Ignorant le degré du développement actuel des questions, ils les poseront au point de vue où ils se plaçaient il y a vingt ans. Le public qui ne sait pas, mais qui a l’intuition des choses, s’intéressera médiocrement ; il ne se passionnera pas. On fera de l’opposition dynastique, les uns au profit des dynasties royales, les autres au profit des dynasties républicaines. Quant à la Révolution et aux principes mêmes sur lesquelles elle s’appuie, il n’en sera pas question. Libéraux orléanistes et libéraux républicains se rencontreront sur le même terrain, fatalement alliés pour faire la guerre à l’autoritarisme césarien. La Révolution sera muette. En mai, grande levée des vieilles lunes, réapparition