Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/380

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Les barricades ne se font pas avec de la boue ; il faut du pavé. Après la révolution du mépris en 48, on fera en 69 la révolution de la conscience ». On parla ensuite d’une candidature de Ledru-Rollin. Mais tout s’effaça devant la campagne de Rochefort — candidat au siège laissé par Gambetta — et qui symbolisait les haines les plus vives contre le régime impérial. Emmanuel Arago, Crémieux, Glais-Bizoin furent élus dans les autres circonscriptions ; on oublia ce succès des républicains bourgeois et modérés, pour ne songer qu’aux 17.900 voix de Rochefort.

Les socialistes de l’Internationale avaient pris une part active à la lutte. Ils n’avaient point eu de candidats à eux ; ils n’avaient point lancé, à ma connaissance du moins, de manifestes spéciaux ; mais comme toujours, sentant grandir le mouvement, ils s’étaient demandé comment ils pourraient profiter des circonstances pour pousser leur propagande : « Nous jouissons depuis quelques mois, écrivait à ce sujet Varlin, dans une correspondance à l’Égalité de Genève, d’une liberté relativement assez large, ce n’est pas un droit reconnu, il est vrai, ce n’est que de la tolérance… Quant à nous, socialistes, nous profitons hardiment de la latitude qui nous est laissée pour accroître nos forces par une active propagande et détruire le prestige de toutes ces personnalités bourgeoises, plus ou moins radicales, qui. étaient un danger sérieux pour la Révolution sociale. Depuis les élections générales (mai), un progrès immense a été accompli. Le parti socialiste n’a pas posé de candidats aux élections générales ni aux élections complémentaires qui viennent d’avoir lieu, mais les orateurs socialistes ont fait prendre aux candidats radicaux que le peuple acclamait, et qu’il était impossible de ne pas nommer, des engagements qu’il ne devaient pas tenir, et leurs défaillances successives nous ont permis de montrer leur incurie et de désillusionner le peuple sur leur compte. » (Cf. James Guillaume, loc. cit., I, p. 242).

Et le même Varlin écrivait encore à Richard à la veille même des élections de Paris (20 nov. 1869) : « La campagne électorale nous a montré le plus beau gâchis qui se puisse voir. Presque toutes nos personnalités républicaines sont venues montrer leur impuissance et leur incapacité au grand jour. Je considère que le résultat des élections sera insignifiant. Quatre républicains bourgeois de plus entreront au Corps législatif et voilà tout. Tant mieux si le Peuple pouvait se désabuser du régime représentatif. En revanche le mouvement social va bien. »

Tirer la leçon des événements, montrer les défaillances des grands bourgeois radicaux, leur impuissance à satisfaire aux désirs populaires, telle était dès alors la besogne d’éducation que les socialistes se proposaient d’accomplir dans la mêlée électorale.

Mais leur vrai travail ne fut pas là pendant ces mois orageux de la fin de 1869. Le mouvement de grève, qui avait commencé dans les premiers mois de l’année, continuait à réclamer leur attention depuis le retour de Bâle.