Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/395

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moment ne nous semble pas encore venu pour une action décisive et immédiate.

La Révolution marche à grands pas ; n’obstruons pas sa route par une impatience bien légitime, mais qui pourrait devenir désastreuse. Au nom de cette République sociale que nous voulons tous, au nom du salut de la démocratie, nous invitons nos amis à ne pas compromettre une telle situation ».

Après les troubles, des arrestations en masse eurent lieu, entre autres celle de Varlin qui demeura quelques jours sous les verrous et fut relâché sans avoir été seulement interrogé, et celle du mécanicien Mégy, qui tua l’inspecteur chargé de l’arrêter, et devint pour ce fait le président d’honneur de toutes les réunions publiques. Le gouvernement croyait ou semblait croire à l’existence d’un vaste et menaçant complot.

Mais, si pendant ces premiers mois de 1870, les socialistes de l’Internationale prirent une part active à l’agitation politique, ils ne négligèrent point pour cela la tâche qui leur revenait en propre, la conduite des luttes ouvrières ni surtout l’organisation, sans laquelle, pensaient-ils, la Révolution ne pouvait être sociale.

De janvier à avril, ils furent occupés par de nombreux conflits, mais surtout par la fameuse grève du Creusot.

On sait ce qu’est le Creusot actuel ; on sait par quelles méthodes savantes les volontés ouvrières se trouvent encore divisées et rompues dans le royaume des Schneider. Au temps du Second Empire, l’absolutisme patronal était égal, plus franc seulement. On n’avait pas encore besoin d’user du système des « délégués ouvriers » ou autres analogues, pour anéantir toute velléité d’indépendance. Pendant un demi-siècle, l’oppression patronale est restée la même ; et c’est une stupéfaction pour les vieux qui repassent toute leur vie, de voir qu’en 1870, en 1881 ou en 1907, les conditions morales et souvent même physiques des ouvriers creusotins sont restées presque identiques.

« Dans cette ville aux maisons noires, disait Me Léon Bigot, le défenseur de l’ouvrier Assi au procès de l’Internationale, l’édilité, la police, les contraventions sont sous la surveillance de l’État, confiés à un seul homme, maire du Creusot, seul usinier du Creusot, presque propriétaire du Creusot et quand il naît un petit-fils à ce haut et puissant seigneur, ses affidés suscitent l’enthousiasme, distribuent des lampions, élèvent des mâts de cocagne au haut desquels s’agitent des banderoles tricolores avec cette inscription : A Schneider III ! » (Troisième procès, page 144).

Comment dans cette foule, soumise et servile, un jour, le réveil se produisit-il ?

Il y avait bien, d’après ce que m’a raconté notre camarade J.-B. Dumay, un petit groupe de jeunes gens, dont il était, et qui avait fondé en 1868, une bibliothèque démocratique. Il est exact encore qu’aux élections de 1869, certains