Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/403

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Émile Ollivier, d’abord hostile, céda ; les orléanistes Buffet et Daru ne purent consentir à ce retour de césarisme. Ils démissionnèrent.

Le 23 avril, le peuple français fut convoqué dans ses comices pour dire s’il « approuvait les réformes libérales opérées dans la constitution depuis 1860 par l’Empereur, avec le concours des grands corps de l’État, et s’il ratifiait le sénatus-consulte du 20 avril 1870 ».

Le vote devait avoir lieu le 8 mai. Du 23 avril au 8 mai, ce fut une furieuse campagne. Le vote affirmatif ne signifiait pas seulement l’approbation des réformes libérales ; il signifiait l’attachement à l’Empire. Il signifiait encore, comme au lendemain de juin 48, la reconnaissance à l’Empereur comme gardien de l’ordre et de la propriété. « Donnez-moi, disait Napoléon III dans la proclamation du 23 avril, une nouvelle preuve de votre affection. En apportant au scrutin un vote affirmatif, vous conjurerez les menaces de la Révolution, vous asseoirez sur une base solide l’ordre et la liberté, et vous rendrez plus facile dans l’avenir, la transmission de la couronne à mon fils ».

La question ainsi posée, la lutte pour les Oui et les Non devenait une lutte entre l’Empire et la République. Mais les républicains marchèrent divisés à la bataille : à mesure que leur force grandissait et que le succès final apparaissait plus certain, ils affirmaient plus haut et sans réserves, leurs aspirations, leurs tendances particulières.

Un comité formé de députés de la gauche et de journalistes s’était réuni chez M. Crémieux. Ernest Picard refusa de signer ses proclamations. Journalistes et députés, disait-il, avaient un mandat différent à remplir. En fait, lui, Hénon et quelques autres s’effrayaient des manifestations révolutionnaires et socialistes, dont l’Empire rendait responsable le parti républicain tout entier et qui détournaient de lui bien des éléments bourgeois. La gauche ouverte s’affirmait pour la première fois ainsi en face de la gauche fermée.

Mais, d’autre part, Delescluze tentait quoiqu’en vain de former un nouveau comité, plus avancé. La Marseillaise et le Rappel avaient déjà refusé de prendre part aux réunions du comité Crémieux. Ils tenaient à affirmer plus haut et plus nettement encore leur haine de l’Empire.

À l’effort républicain et socialiste répondait d’autre part la propagande bonapartiste. Au Comité démocratique de la rue de Sourdière s’opposait le Comité central plébiscitaire. Si les membres du Centre gauche ne prenaient qu’une part modérée à la campagne, la droite autoritaire mettait dans cette bataille toutes ses espérances.

Si le plébiscite triomphait à une énorme majorité, c’était, pensait-elle, la fin du libéralisme, le retour certain à la méthode forte.

Le gouvernement ne pouvait dès lors demeurer en reste. Quelque belles qu’eussent été les déclarations de M. Émile Ollivier contre la candidature officielle, il était assez inquiet tout à la fois de la poussée démocratique et des