Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/52

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souvent comme leur caractère à demi réformateur, comme telle ou telle de leurs dispositions, dictée plutôt par la recherche de la popularité, pur Le désir étroit d’établir la dynastie que par une sincère et hardie volonté d’amélioration.

Parmi Les décrets-lois du temps de la dictature, nombreux sont ceux qui doivent d’abord achever la soumission de la nation. On ne s’en étonnera pas.

C’est d’abord la dissolution des associations ouvrières, dont on redoute toujours une activité politique : c’est le pouvoir donné aux préfets d’autoriser ou fermer les cabarets, selon qu’ils leur donnent ou non des inquiétudes au même point de vue ; c’est l’obligation imposée aux notaires, avoués, avocats, hostiles au régime, de vendre leurs offices ; c’est la dissolution des gardes nationales ; c’est le rétablissement du ministère de la police confié à M. de Maupas ; c’est le régime spécial de police imposé à l’agglomération lyonnaise : c’est, enfin, la proscription de la devise : « Liberté, Égalité, Fraternité » et la destruction des arbres de liberté.

Le 17 Février paraît le décret-loi réglant le régime de la presse. Les journaux sont soumis à l’autorisation préalable, à un droit de cautionnement, à un droit de timbre. Les articles qui déplaisent au pouvoir attirent au journal qui les a publiés des avertissements, et plusieurs avertissements amènent la suspension.

Le 9 Mars, c’est le tour de L’Université. Le droit de révocation et de nomination appartiendra au pouvoir seul. Le Conseil supérieur sera nommé par lui.

Chaque grand corps devra être soumis ; chaque fonctionnaire devra faire preuve de loyalisme. Le Président a, d’ailleurs, ses créatures à placer ; et beaucoup sont âpres à la curée qui commence. Le 1er Mars, un décret abaissant l’âge de retraite des juges, a déjà permis de satisfaire quelques-uns.

Mais à côté de toutes ces mesures de répression ou de concentration politique, d’autres étaient prises qui occupaient et souvent surprenaient l’opinion. Un décret, en date du 23 Janvier, décidait que tous les biens de la famille d’Orléans devaient faire retour à la nation, c’est-à-dire les biens personnels, constitués par Louis-Philippe à ses fils, par la donation du 7 Août. Le décret décidait que sur ces biens, 10 millions reviendraient aux Sociétés de Secours mutuels, 10 millions seraient consacrés à l’amélioration des logements ouvriers, 10 millions iraient aux institutions de Crédit Foncier. 5 millions enfin seraient versés à la Caisse de retraites des desservants infirmes. L’église, alliée du prince, allait avoir aussi sa part du gâteau.

On cria au scandale. Quatre ministres, quatre grands familiers de l’Empereur jouèrent une comédie intéressée : Morny, Rouher, Fould, Magne démissionnèrent. Montalembert, indigné, et de Mérode sortirent de la Commission consultative ; plusieurs conseillers d’État résistèrent et furent frappés. Les salons répétèrent un mot de M. Dupin, qui jugea bien : « C’était, avait-il dit, le premier vol de l’aigle ».