Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/51

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suffrage universel, discutant et votant les lois et le budget, « une seconde Assemblée » le Sénat, nommée par le Président comme « gardienne du pacte fondamental et des libertés publiques ».

Cette fois le Président avait un pouvoir fort : il avait tout le pouvoir. C’était lui qui nommait à tous les emplois, déclarait la guerre, négociait et faisait seul les traités, décidait l’état de siège. Seul, il avait l’initiative des lois. La Chambre, dont tous les membres lui prêtaient serment, ne pouvait discuter que sur ses projets. Les ministres étaient choisis par lui, ils ne dépendaient que de lui ; ils n’étaient plus responsables. Lui seul était responsable, mais non devant un corps constitué. Il n’était responsable que devant le peuple, souverain théorique, qui, par ses plébiscites, ses oui ou ses non, exprimait son approbation ou sa désapprobation.

C’est donc le rétablissement du Consulat, avec cette différence pourtant que la Constitution de 1852 admet une Chambre élue directement par les électeurs ; qu’elle conserve, qu’elle pose même comme le fondement légal du régime le suffrage universel, la conquête de 1848. Le suffrage universel peut être faussé, étouffé, souillé : les partisans du pouvoir fort n’ont pas osé l’anéantir ; et c’est par lui que la liberté reviendra, c’est autour de lui que les républicains bientôt se retrouveront.

Mais c’est l’heure de la dictature. Tandis que M. de Morny charge les préfets d’organiser le suffrage universel, et leur indique comment il faut faire les divisions électorales « d’une façon intelligente », tandis qu’il leur apprend à rendre mensongères toutes les garanties accordées par la Constitution, le prince-président multiplie, avant même la réunion du Corps législatif, les décrets ayant force de lois, qu’il est autorisé à rendre. Tout de suite, il veut parfaire l’œuvre du 2 Décembre.

Rien n’est plus curieux que l’activité dépensée alors par le prince-président, pendant ces mois de dictature. Tiraillé entre le rêve d’organisation qu’il a conçu et la réalité complexe issue du coup d’État et de la résistance au coup d’État, désireux de gagner la classe ouvrière, de la séduire, même dans ses éléments les plus avancés, et contraint de donner des gages à Montalembert, aux cléricaux qui sont, au fond, et de par l’histoire même des dernières années, les soutiens du régime, il multiplie les petites réformes, s’efforce de contenter toutes les classes, de rallier à lui tous les suffrages, de devenir vraiment, maintenant, une fois les « anarchistes » contenus, le prince populaire cher à la nation. Les factieux disparus, la masse l’approuvera, l’aimera. Avant que les Chambres ne soient réunies, il veut, pour ainsi dire, avoir donné au pays sa direction ; avoir manifesté clairement ce que sera son gouvernement. Et c’est pour cela qu’il multiplie ses décrets, réglant toutes les questions pendantes, prenant des initiatives que la Chambre, paralysée par sa lutte contre lui, n’a pas pu prendre, mais que bien souvent elle a préparés. De ces décrets, beaucoup ont subsisté ; mais rien n’est mesquin