Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/75

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encore socialement inéduquées, comment il « créerait entre les ouvriers et ceux qui les emploient une classe intermédiaire jouissant de droits légalement reconnus et élue par la totalité des ouvriers. Cette classe intermédiaire serait la classe des prud’hommes ». Tout chef de fabrique eût été tenu d’avoir un prud’homme pour dix ouvriers et de lui payer un salaire double. « Ces prudhommes rempliraient dans la classe ouvrière le même rôle que les sous-officiers remplissent dans l’armée ». Alors s’élèveraient partout des colonies agricoles, comparables aux monastères du moyen-age, « au milieu d’un monde égoïste livré à la féodalité de l’argent ». Alors le chômage serait supprimé. Alors l’armée industrielle, comme l’autre, serait disciplinée. Alors toute l’économie nationale se trouverait intensifiée. Et de même que « le triomphe du christianisme a détruit l’esclavage, de même que le triomphe de la Révolution française a détruit le servage ; de même, le triomphe des idées démocratiques aurait détruit le paupérisme ».

L’Empereur poursuit-il le rêve du prétendant ? Voudra-t-il être le prince organisateur et révolutionnaire qui « améliorera la condition de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre ? » Peut-être ; mais qu’il prenne garde de réveiller par l’industrie même les préoccupations politiques ou sociales. L’industrie doit occuper les esprits, absorber les activités ; il ne faut point qu’elle devienne une nouvelle occasion de penser. Il faut que la condition de la classe ouvrière se trouve améliorée, pour qu’elle apprenne a aimer le nouveau régime ; mais il ne faut pas que des réformes trop profondes viennent susciter en elle des revendications nouvelles. Dans l’intérêt de la dynastie, il faut s’arrêter à temps, régler et contenir l’activité de tous.

Il ne semble pas d’ailleurs qu’il y ait, de ce côté, un danger imminent. Après l’expérience de 1848, la bourgeoisie, la classe moyenne, à qui son pouvoir politique a été ravi, ne demande qu’à travailler et à jouir. La classe ouvrière, décimée à plusieurs reprises depuis juin, n’a pas la force nécessaire pour tenter quelque conquête. Le gouvernement peut donc hardiment pousser au développement de l’industrie.

De 1852 à 1850, ce développement fut remarquable.


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Et d’abord le développement du crédit. Pour soutenir et provoquer l’esprit d’entreprise, deux grands établissements furent fondes : le Crédit foncier et le Crédit mobilier.

Le décret du 28 février 1852 avait autorisé la création de Sociétés de Crédit foncier consentant aux propriétaires sur première hypothèque des prêts à long terme remboursables par annuités, et se procurant les capitaux par l’émission de lettres de gage garanties par les hypothèques. A la faveur de ce décret, une Banque foncière s’était établie à Paris ; deux autres, bientôt, furent fondées à Marseille et à Nevers. Mais rapidement, pour assurer l’unité des opérations, et pour rendre plus facile la circulation des