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du jeu. L’Empereur le remercia par une lettre solennelle. « J’ai été vraiment heureux, lui écrivait-il, de vous entendre flétrir, de toute l’autorité de votre talent, et combattre par L’inspiration des sentiments les plus-nobles, le funeste entraînement du jeu. » Et il l’engageait à persévérer dans cette voie de moralité. Un magistrat, M. Oscar de Vallée qui, dans un livre intitulé Les Manieurs d’argent, comparait l’agiotage du temps à celui qu’avait provoqué le système de Law s’attirait une lettre de félicitations analogue. Mais toutes ces solennelles paroles étaient inefficaces ; et la loi du 17 juillet 1856, destinée à restreindre l’action des sociétés en commandite par actions, ne réussissait point à enrayer la spéculation.

Napoléon III pouvait redouter les déplorables effets de tout ce jeu sur la moralité publique. Il pouvait craindre, comme Proudhon, la déchéance de la nation, la dissolution de la Société. Politiquement, il devait être satisfait. L’activité industrielle supprimait toute opposition de la bourgeoisie. Elle était trop occupée à s’enrichir ; elle avait trop de reconnaissance au gouvernement qui faisait aller les affaires pour lui réclamer même une part du pouvoir politique qu’il lui avait ravi.

Restait la classe ouvrière, celle qui avait fait février, celle qui avait fait juin, qui avait subi décembre. Ses chefs étaient exilés, emprisonnés. Comment le gouvernement ferait-il pour la gagner ? C’était le problème le plus délicat de sa politique intérieure.

Déjà, dans quelques mesures dont nous avons indiqué l’économie, transparaissait sa sollicitude pour les classes ouvrières. Il exonérait les artisans ; il cherchait à donner aux ouvriers du pain à bon marché. Il leur assurait du travail par les grandes entreprises de chemins de fer.

Du travail, du travail régulier, sans chômage, c’était là ce que devait demander la classe ouvrière. Le mal du chômage n’avait-il pas été une des causes les plus graves des troubles de juin ? Le chômage n’avait-il point été l’origine de la révolte ouvrière ? C’était par de grands travaux publics qu’on pouvait sûrement gagner la sympathie des ouvriers. Napoléon Ier l’avait dit : « L’ouvrier manque de travail ; il est alors à la merci de tous les intrigants ; on peut le soulever : je crains des insurrections fondées sur un manque de pain ; je craindrais moins une bataille contre 200.000 hommes. »

Pour la classe ouvrière et contre elle tout à la fois, Napoléon III entreprit de transformer Paris et les grandes villes. Dès le lendemain du coup d’État, il avait décidé l’accomplissement des grands travaux, si longtemps discutés sous les régimes précédents, l’embellissement des Halles, l’achèvement du Louvre ; et le rêve d’un Paris, percé de larges voies, unissant les quartiers du centre à toutes les gares, à toutes les voies de communications, se précisait dans son esprit. Le préfet de la Seine, M. Berger, « édile des anciens jours », hésitait. Il fut remplacé. Le préfet à poigne, l’homme audacieux qui avait contenu le socialisme dans l’Yonne et dans le Var, M. Haussmann, fut nommé à Paris : l’Empereur l’avait choisi pour sa volonté et pour sa