Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/93

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à cet Empire, qui était aussi un Empire napoléonien « La signification immense de nationalité et de grandeur » qui s’attachait à son nom. Comment viendrait donc la revanche napoléonienne ? Comment les traités de 1815, contre lesquels s’était faite la révolution de 1830 et que la monarchie orléaniste, pour son malheur, n’avait pas su briser, seraient-ils enfin déchirés ? Au lendemain du coup d’État, dans l’Europe encore tout agitée par les révolutions réprimées, nul ne pouvait le prévoir. Mais, en France, le parti catholique réclamait des gages. A l’extérieur, comme à l’intérieur, il exigeait que le nouveau pouvoir servit sa politique. Il fallait d’abord céder à sa volonté.

Ce n’était d’ailleurs que la continuation de la politique des années antérieures qu’il réclamait : l’affaire de Rome, au temps de la République, avait manifesté déjà pour quels intérêts travaillaient la diplomatie et les armes françaises. Cette fois, cependant, il ne s’agissait plus de Rome. C’était la querelle des Lieux Saints qui passionnait les catholiques. « Querelle de sacristie ! » disaient les diplomates. Et d’autres ajoutaient que « le jeu n’en valait pas la chandelle ». Elle déchaîna cependant une guerre fameuse.

Par les capitulations de 1740, la France, protectrice des Latins dans l’Empire turc, avait reçu des sultans la garde des lieux de pèlerinage, soit à Jérusalem, soit en dehors, et les religieux latins en avaient eu la possession reconnue. Mais, peu à peu, les chrétiens grecs, protégés, eux, par la Russie, étaient venus en grand nombre vers les Lieux Saints ; les religieux grecs avaient entretenu et même parfois rebâti les sanctuaires, délaissés par les Latins ; et les sultans, sans souci de la contradiction, leur avaient reconnu à eux aussi la propriété des Lieux Saints, à l’exclusion de tous autres. Ces concessions aux Grecs dataient de 1812, de 1816, de 1829. Comment est-ce donc après vingt ou trente ans que la question se trouva de nouveau posée ?

On ne s’en étonne que si l’on ne connaît pas l’extraordinaire mouvement catholique du milieu du siècle, que si l’on oublie les origines cléricales du Second Empire.

Depuis 1830, en effet, depuis le pontificat de Grégoire XVI, ancien prélat de la propagande, l’Église s’était armée tout à la fois pour la diffusion de sa puissance dans le monde et pour la ruine des idées libérales. L’association pour la propagation de la foi avait été créée à Lyon. en 1822, et fournissait trois millions par an pour cette œuvre : le pape comprit la force qu’elle représentait et l’utilisa. Également la Société de la Sainte-Enfance créée pour la Chine par Mgr Parisis, fournissait de l’argent. Les catholiques de France offraient en outre un personnel, un personnel de missionnaires et de sœurs : jésuites, dominicains, lazaristes, Pères du Saint-Esprit, prêtres des missions, eudistes, filles de la Charité, dames de Sion, etc., qui, de 1830 a 1845 surtout, créaient des « chrétientés » ou des vicariats dans toutes Les parties du monde. Les Lazaristes avaient pris possession de La Turquie et de la Perse ; les Missions étrangères de la Chine ; les Maristes de L’Océanie : les Jésuites de la Syrie.