Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/94

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Or, si ce sont surtout des Français qui se sont faits les nouveaux propagateurs de la foi, si ce sont eux qui donnent au catholicisme ses apôtres et ses finances, la France tout entière et le gouvernement, qui la représente, peuvent-ils rester indifférents ? La propagation de la foi ne doit-elle pas se confondre avec l’expansion française. N’est-ce point là la mission traditionnelle de la France, de la France de Saint-Louis et de Louis XIV, de la fille aînée de L’Église. « Gesta Dei per Francos », « L’action de Dieu par l’intermédiaire des Français », la vieille devise doit redevenir une vérité. Dès 1841, Lacordaire rappelle à la France sa vocation.

M. Emile Bourgeois, qui, dans son Manuel de politique extérieure, a fortement marqué l’importance de tout ce mouvement, a réuni sur ce point un grand nombre de textes qui ne laissent aucun doute sur les desseins et les conceptions du parti catholique à cette époque. « Grâces soient rendues, disait par exemple le Correspondant, organe qui depuis 1843 menait campagne en faveur de l’expansion catholique par la France, grâces soient rendues au gouvernement d’avoir compris que la religion est seule en mesure d’agrandir les Empires. Qu’importe, à côté de cela, aux intérêts catholiques dans le monde, aux intérêts de la nationalité française inséparable des premiers, que la session assure le triomphe de tel ou tel homme politique ? » — « Que la France, disait encore la même revue, cherche toujours la gloire de Dieu, et elle trouvera par surcroit la sienne ». Montalembert, M. de Falloux, de 1850 à 1856, célébraient constamment le grand mouvement de croisade qui entraînait les Français, et M. de Falloux vantait « ce grand libéralisme chrétien dont les Français étaient les propagateurs dans le monde », et qui éveillait partout de si nobles espérances.

La question des Lieux Saints, soulevée dès mai 1850 par le prince-président pour plaire aux catholiques de l’assemblée législative, était pour ceux-là une occasion excellente de développer leur politique. « Il ne faut pas, disait l’un d’eux, la faire descendre aux infimes proportions d’une querelle locale. Elle intéresse la foi de la France et ses croyances. Elle lui rappelle les plus glorieuses traditions de son histoire. Sa prospérité, sa politique et le rang qu’elle tient dans le monde lui font une loi de la résoudre ». Ainsi raisonnait le nationalisme clérical (il n’y a point de mot plus exact pour caractériser cette politique). C’était l’idée nationaliste de la grandeur française, de la gloire nationale, se manifestant dans le monde par l’intervention constante de nos armes et par une expansion incessante, c’était la tradition populaire de toute la première moitié du siècle, mais mise, cette fois, au service des ambitions catholiques.

Le pouvoir nouveau que le Coup d’État et les plébiscites avaient donné à Louis-Napoléon, et d’autre part la nécessité de son alliance avec les catholiques devaient surexciter toutes les espérances de ces derniers. Comment un prince, qui avait donné tant de gages à l’Église, aurait-il pu en effet se refuser à soutenir la nouvelle croisade ?