Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/103

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Même ainsi, même si la France renonce absolument à toute entreprise sur la rive gauche du Rhin ou sur la Belgique, même si elle est résolue à ne rien prendre et si elle persuade au monde qu’elle ne veut rien prendre en effet, est-elle assurée du concours de l’Angleterre et de l’Autriche à une politique offensive contre l’unité italienne et contre l’unité allemande ? Certes, il sera agréable à l’Angleterre de savoir que la France ne veut pas mettre la main sur la Belgique. Il lui sera agréable de savoir que la France s’unirait à elle, si elle le désirait, pour empêcher l’Allemagne de mettre la main sur les ports de la Hollande. Mais cela suffira-t-il pour décider la nation anglaise à soutenir la France dans ce que M. Thiers appelle une politique conservatrice, et qui était à l’égard de l’Italie et de l’Allemagne une politique de compression ? Toutes les puissances de l’âme anglaise s’étaient émues pour l’unité italienne, et comment imaginer, pour ne marquer qu’un trait, que l’Angleterre, qui avait gardé l’horreur et la peur du papisme consentirait à imposer par la force à l’Italie la souveraineté temporelle du Pape sur les États romains ? Sans doute si la Russie s’était engagée à fond avec la Prusse et si celle-ci, pour s’assurer l’alliance russe, avait promis au Tsar de l’aider à saisir Constantinople, l’Angleterre se serait émue : et elle se serait jetée, elle aussi, dans le combat. Mais il est infiniment probable que la Prusse et la Russie elle-même auraient fait un grand effort pour désarmer les susceptibilités et les inquiétudes anglaises : et la Russie, tout en développant son influence en Orient, aurait évité les démarches extrêmes qui auraient obligé l’Angleterre à une intervention. Et elle aurait offert à celle-ci une part de profit dans les affaires orientales, comme plus tard, au Congrès de Berlin, et avec l’assentiment de l’Allemagne, l’Angleterre s’appropria Chypre.

Quant à l’Autriche, elle n’aurait pu seconder une politique offensive de la France en Allemagne qu’à la condition de ménager l’Italie. Depuis Sadowa et la cession de la Vénétie, l’Autriche avait perdu en Italie tout ce qu’elle pouvait perdre. Elle n’avait aucun intérêt territorial et politique à défendre la Rome papale contre les entreprises de la monarchie de Savoie et du peuple italien. Elle n’y avait pas non plus un intérêt moral. Elle s’était aperçue que l’influence cléricale avait affaibli en elle les ressorts de la pensée et de l’action. Elle s’efforçait de secouer le joug de la théocratie. C’est l’ancien ministre de Saxe, le protestant de Beust, qui avait été appelé à la présidence du Conseil pour une œuvre de régénération libérale et nationale. Il brisait le concordat de 1855 qui avait soumis tout l’État autrichien, son enseignement, ses lois sur la famille, tout le droit civil et tout le travail de l’esprit à la censure de l’église et au despotisme de Rome. Il soutenait une lutte violente contre les évêques. Pourquoi irait-il, dans l’intérêt du despotisme romain, se brouiller à nouveau avec l’Italie ? Pour exercer une action en Allemagne, il avait besoin de n’être pas inquiété sur son flanc occidental. C’est à la coalition de la Prusse et de l’Italie qu’avait succombé l’Autriche en 1865 ; dissoudre ou prévenir cette coalition était