Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/127

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de ressemblance, il y ait des points de dissemblance ; que l’Allemagne est certainement le pays d’Europe où la féodalité, c’est-à-dire la division, a laissé la plus forte empreinte, où chaque petit groupe tient beaucoup à son individualité, à sa souveraineté, à ses souvenirs de famille. ( Assentiment sur plusieurs bancs.)

« Dès lors, Messieurs, ce qu’il y a de vrai, c’est que l’Allemagne est un pays merveilleusement fait pour la Confédération, mais non pas pour l’unité. La Confédération a, pour l’Allemagne, d’immenses avantages naturels, et le premier de ces avantages c’est de ne point inquiéter ses voisins. »

Ainsi, voilà la démocratie révolutionnaire de France qui, par peur de l’unité allemande, est réduite à souhaiter que la féodalité prolonge son existence et ses effets en Allemagne. Et s’il veut que la France s’abstienne de toute entreprise de conquête sur l’Allemagne, c’est surtout pour que l’unité allemande ne sorte pas d’un mouvement national.

« Menacer l’Allemagne de notre armée, c’est la constituer. Faire alliance avec l’Autriche, c’est précipiter dans les bras de la Prusse les 10 millions d’Allemands qui lui restent. Nous n’avons qu’un moyen d’arriver, s’il est possible, et je le crois possible, à la dissolution de ce qu’on appelle faussement l’unité allemande, de ce que j’appelle l’unité prussienne, nous n’avons qu’un moyen ; c’est de nous faire les complices des ennemis de cette union prussienne. Or, les ennemis de cette union prussienne, ce sont les rois dont on a envahi le territoire en invoquant la conquête. »

Un membre. — C’est la guerre, alors !

« Si nous voulons, Messieurs, ébranler tous ces peuples, nous n’avons qu’à leur montrer en France des institutions libres et la volonté de les appliquer. »

Mais Jules Favre ignorait-il donc que dans ce royaume du Hanovre, auquel il fait allusion, ce sont les libéraux les plus hardis qui étaient les plus dévoués à l’unité allemande et les plus empressés à soutenir la Prusse dans son œuvre d’unité ? Rarement le grand orateur était tombé à un tel degré d’incohérence, à une telle pauvreté de pensée. Malgré tout, cependant, à travers les contradictions et les ombres où se débat son esprit, il commence à entrevoir la nécessité de la grande unité allemande. Surtout il fait acte de clairvoyance et de courage, lorsqu’il dénonce toutes les manœuvres de compensation auxquelles l’Empire se livrait sournoisement dans l’espoir de rétablir son prestige qu’il croyait, sans l’avouer, compromis par Sadowa. Et toujours il répète avec force que la vraie garantie que la France doit donner à l’Allemagne contre toute surprise, contre toute menace, c’est l’institution d’un régime de liberté et de contrôle qui ne livre pas les destinées du monde aux fantaisies d’un seul homme.

Assez longtemps encore et notamment dans son discours du 10 juillet 1867 sur les affaires du Luxembourg, dans le discours du 2 décembre 1867 où, à propos de la seconde expédition de Rome, il examine la situation européenne, M. Jules Favre continue cette politique incertaine et incohérente : affirmation