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Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/132

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d’influences, et, par conséquent, il est tout naturel que la France ait considéré tous ces grands événements d’un œil attentif. Mais il importe de savoir comment elle cherchera à résoudre les difficultés qui pourraient être la conséquence de cet ordre de faits nouveaux. Ce que je demande au gouvernement, c’est d’avoir une politique, c’est de la suivre résolument, c’est de l’accentuer avec la force et la netteté qui doivent caractériser un gouvernement comme celui de la France.

« Or, quelle doit être cette politique. Messieurs ? En ce qui concerne les affaires extérieures, j’ai entendu souvent professer cette maxime, que les gouvernements pouvaient se passer de principes et n’obéir qu’à la loi de leur intérêt. C’est là, Messieurs, une maxime qui me parait radicalement fausse et dangereuse. (Marques d’approbation à la gauche de l’orateur.)

« L’intérêt, à coup sûr, ne doit jamais être dédaigné : mais la sagesse et les efforts des hommes d’État doivent tendre toujours à le concilier avec le sentiment du juste. Et ce n’est point assez du sentiment du juste : une grande nation n’est pas seulement une collection de forces militaires ; elle est, avant tout, une âme ; elle se résume dans une idée, et, quelque glorieux que soit son drapeau qui flotte dans le monde, ce drapeau abrite toujours dans ses plis une pensée que comprennent tous les peuples et autour de laquelle ils se rangent. (Nouvelles approbations à la gauche de l’orateur.)

« Cela est plus particulièrement applicable à la France, et à la France constituée telle qu’elle est : car pour définir et déterminer le caractère de sa politique, je n’ai pas besoin de me lancer dans les hypothèses, je n’ai pas à appeler à mon secours des sentimentalités ; c’est l’état de la France que j’interroge et qui va me répondre.

« Cet état, Messieurs, quel est-il ? C’est la nation tout entière, représentée par son chef qui sort d’elle, par ses mandataires qui sortent également de ses entrailles. Le dogme politique qui a prévalu, depuis 1848, qui, après avoir été le ciment avec lequel l’édifice social de la France s’est constitué, déborde sur l’Europe, et qui rayonnera, je l’espère, sur le monde entier, c’est le principe de la souveraineté nationale. (Assentiment à la gauche de l’orateur.)

« De ce principe, quelle conclusion doit-on tirer en ce qui concerne la politique étrangère ?

« Ici, Messieurs, il faut se garder de dangereuses illusions : le principe de la souveraineté nationale serait dangereux et funeste s’il devait avoir pour conséquence de favoriser un système auquel on a donné le nom de système des nationalités, système qui consisterait à permettre à certains groupes humains de conquérir par la ruse et par la force d’autres groupes, sous prétexte que ces derniers leur sont associés par la langue et par la race. Le système qui conduirait à de telles conséquences, si fausses et si injustes, ne recevrait jamais notre approbation. Mais le système de la souveraineté nationale, combiné avec celui des nationalités, enseigne à respecter et à faire respecter la volonté des peuples