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Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/163

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national et ne pas nous laisser surprendre matériellement par la guerre qui peut éclater subitement. »

Il se prête cependant à l’accommodement d’une conférence européenne. Cependant, il ne cessait de surveiller et la France, et l’Autriche, et les États du Sud. De France lui venaient ou des exigences désagréables ou des paroles ambiguës, grondantes d’une sourde menace. Il ne s’en émeut pas outre mesure, pensant que la France ne commettra pas la folie, avec son armée moins forte, de se jeter sur l’épée victorieuse de la Prusse. Avec l’Autriche, il joue un jeu très compliqué. Habile à tirer parti, même des côtés faibles de sa situation, il se sert, pour paralyser l’Autriche, de l’influence renaissante de celle-ci sur l’Allemagne méridionale.

Plus les États du Sud étaient liés à la Prusse par une convention militaire, par une communauté essentielle d’intérêts allemands, plus ils inclinaient à s’appuyer sur l’Autriche pour que leur lien avec la Prusse ne devînt pas une chaîne de servitude. Naturellement, l’Autriche cherchait à ménager ces sympathies. Mais elle les perdrait si elle faisait cause commune avec la France contre l’idée allemande. M. de Bismarck le sentait, et c’est par l’intermédiaire de la Bavière qu’il tâchait de savoir, au moment de la crise du Luxembourg, quelle serait la conduite du gouvernement autrichien. À vrai dire, le chancelier autrichien ne fît pas à ces ouvertures une réponse bien explicite. Il dit, le 4 avril 1867, à l’envoyé bavarois : « qu’il n’était engagé en aucune façon avec la France ; qu’une neutralité bienveillante était dans la nature des choses. L’Autriche n’avait aucun motif de s’engager elle-même dans l’action. Oui, si la Prusse était disposée à donner quelque chose en échange, notamment en garantissant l’Autriche dans la question orientale contre l’occupation de la Bulgarie par la Russie. On avait d’ailleurs la preuve que la Prusse s’employait en Autriche même contre le gouvernement. Cela devait absolument cesser, surtout la Prusse devait venir elle-même. La Bavière n’avait plus assez d’indépendance pour jouer le rôle d’intermédiaire. » Mais, par ces marchandages mêmes, par les incertitudes et les complications de sa politique, M. de Beust servait les intérêts de la Prusse et de M. de Bismarck.

Si M. de Beust avait su sérier ses ambitions et ses combinaisons ; s’il avait eu un objet principal auquel toute son action aurait été subordonnée ; si, par exemple, il avait voulu avant tout rétablir en Allemagne, aux dépens de la Prusse, l’influence de l’Autriche ; s’il avait préparé, dans cette vue, une alliance vigoureuse avec la France, et s’il avait ajourné jusqu’après l’accomplissement de ce grand et difficile dessein toute entreprise en Orient, persuadé d’ailleurs que si l’Autriche reprenait force et prestige en Allemagne, elle saurait bien ensuite reconquérir en Orient le terrain un moment perdu ; alors oui, il aurait pu être un danger pour M. de Bismarck. Mais il se proposait trop d’objets à la fois. Aussi bien la situation politique de M. de Beust n’était pas inexpugnable. Lui, le Saxon, le protestant, qui entreprenait la régénération libérale de l’Autriche