Page:Jaurès - Histoire socialiste, XI.djvu/164

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il avait contre lui, avec le haut clergé, la haute noblesse autrichienne. Celle-ci voulait le renverser, instituer, avec un ministère Metternich, un régime d’absolutisme, conclure une alliance offensive avec la France impériale et catholique et marcher à fond contre la Prusse. Comment M. de Beust aurait-il pu s’engager tout entier dans une politique qui était alors celle de ses adversaires directs ? M. de Bismarck savait ces choses et que, peu à peu, il pourrait envelopper l’Autriche dans un réseau d’influences qui la paralyserait. Les imprudentes demandes de M. de Beust étaient communiquées à la Russie ; et, ainsi, M. de Bismarck travaillait peu à peu à s’assurer le concours du Tsar.

Les États de l’Allemagne du Sud se débattaient dans un chaos de tendances et d’idées contradictoires. Sous l’éclair de Sadowa, la Prusse leur avait apparu comme la grande force allemande, ils s’étaient unis à elle par un traité militaire, et ils allaient siéger avec la Confédération du Nord dans le Parlement douanier reconstitué. Mais quels seraient au juste leurs rapports politiques avec cette Confédération ? Une grande partie des Allemands du Sud, après Sadowa, reconnaissait que l’heure était venue pour la Bavière, le Wurtemberg, Bade, la Hesse, sans abandonner leur autonomie, d’organiser cependant l’unité allemande. C’est ce que disait au Reichsrat bavarois, le 31 aout 1866, le prince de Hohenlohe. « On a dit que la Prusse ne veut pas notre alliance : je crois connaître les sentiments de la Prusse, et je dois assurer que cet éloignement pour une alliance avec l’Allemagne du Sud n’existe que dans un parti, le parti de la Gazette de la Croix, pour qui la vie constitutionnelle de l’Allemagne du Sud est une abomination. Le peuple prussien, dans sa majorité, ne partage pas cet éloignement ; son gouvernement non plus. Si le gouvernement prussien ne nous a fait aucune proposition, pour nous inviter ou à entrer dans la Confédération ou à conclure une alliance, cela est très naturel, étant donnée la position de la Prusse à l’égard de la France. Mais cela ne peut pas être pour les pays de l’Allemagne du Sud et leurs représentants une raison de cacher leur opinion. Je pense donc que si la Prusse a des raisons de ménager la France, la nation allemande est assez grande pour dire ce qu’elle veut, ce qu’elle juge bon et convenable pour elle, sans se préoccuper de ce qu’on désire ou espère de l’autre côté du Rhin. Je pense aussi que l’attitude prétendument hostile de la France à l’égard de l’Allemagne est créée artificiellement par les efforts obscurs des partis. Le peuple français a l’esprit trop grand, il est trop fier et trop noble pour redouter la constitution d’une Allemagne unie. » Quel malheur, encore une fois, que la France n’ait pas eu, en effet, une politique large et confiante ! L’unité allemande se fût dès lors accomplie sans aucun risque de guerre et avec une intervention beaucoup plus active des forces libérales et démocratiques. Mais à mesure que s’amortissait l’enthousiasme des premiers jours, à mesure aussi que se précisait le problème, la difficulté apparaissait de concilier, avec une sérieuse organisation de l’unité allemande, ce que les États du Sud, peuples et dynasties, voulaient retenir de leur autonomie et de leur