Lui qui savait bien qu’une guerre ne pouvait servir l’ambition prussienne et l’unité allemande que si elle avait un caractère évidemment national, pouvait-il imaginer que l’Allemagne prendrait feu pour une querelle purement dynastique, pour une petite vanité de la maison de Hohenzollern ? Ceux qui raisonnent ainsi oublient le rôle que, dans son intrigue profonde, M. de Bismarck réservait à l’Espagne. Jusqu’au bout il a voulu, comme Prim, que le secret le plus absolu fût gardé sur les négociations relatives à la candidature Hohenzollern. Jusqu’au bout il a espéré que les Cortès, convoquées soudain, nommeraient roi, presque à l’improviste, le prince Léopold, et que la France et l’Europe seraient en face d’une volonté expresse et officielle de la nation espagnole. Dès lors, dans sa pensée, les sommations prévues de la France s’adresseraient à l’Espagne comme à la Prusse. Ou plutôt, celle-ci pourrait dire : Aux yeux du roi, c’est là une question de famille. Pour la nation espagnole seulement c’est une question politique ; c’est à elle de décider. On pouvait même donner au monde la comédie du désintéressement en conseillant tout haut au prince Léopold de ne pas accepter la couronne, par déférence pour la France. Mais celui-ci pourrait passer outre, en déclarant qu’il ne pouvait se dérober au magnifique devoir que lui imposait un peuple généreux et infortuné. Les Cortès s’enflammeraient pour l’indépendance nationale, menacée par l’intervention de Napoléon.
Quoi ! la diplomatie impériale n’a créé à l’Espagne que des difficultés ! C’est pour ménager l’Empire que l’Espagne a renoncé à appeler au trône le duc de Montpensier. Le peuple espagnol avait cru bien faire en élisant un homme qui, s’il tient à la maison des Hohenzollern, se rattache aussi par bien des liens à la famille Bonaparte. Par quel caprice despotique Napoléon veut-il contrarier la volonté de la nation espagnole ? Et pense-t-il que l’Espagne soit disposée à subir du neveu le joug qu’elle n’a pas accepté de l’oncle ? Que M. de Bismarck s’attendît à cette explosion de fierté espagnole, ce serait l’évidence, même s’il n’avait pas, dans ses Souvenirs. laissé percer sa pensée.
On n’a pas assez remarqué, me semble-t-il, les quelques lignes de ses Mémoires où, à propos de la crise de 1870, il laisse échapper sa mauvaise humeur contre l’Espagne. Il s’étonne qu’elle n’ait pas compris que c’était à elle à défendre son choix. Mais si le mouvement de retraite fut possible au gouvernement espagnol, en juillet 1870, c’est que l’affaire fut ébruitée imprudemment avant la réunion et la décision des Cortès. Après un vote solennel d’une assemblée nationale, l’amour-propre espagnol n’aurait pas cédé aisément, et c’est sur cela que comptait M. de Bismarck.
Du coup, Napoléon était dans une situation très difficile. Il apparaissait, lui l’homme des nationalités, comme l’ennemi de la nationalité espagnole, car il refusait à une nation voisine le droit de se gouverner elle-même, de choisir librement son chef. Ne faisait-il pas à l’Espagne, en contrariant sa volonté, la même violence qu’il faisait à l’Allemagne lorsqu’il interdisait à