celle-ci de se constituer selon son vœu ? Ainsi, l’orgueil allemand s’éveillait avec la fierté espagnole, et la France exigerait-elle donc de la Prusse qu’elle aussi adressât à l’Espagne une sommation ? La Prusse n’avait pourtant pas d’autre moyen d’empêcher les Espagnols de donner la couronne à un Hohenzollern ; et où le roi Guillaume aurait-il trouvé le droit de donner des ordres à un de ses cousins, mais devenu par la libre élection des Cortès, le souverain, le représentant de l’Espagne ? Non, la France jalouse ne cherchait qu’à humilier autour d’elle toutes les puissances et tous les peuples. Et comment l’Italie aurait-elle pu s’allier à la France dans cette œuvre d’oppression et de violence ? Le prince italien ayant refusé l’offre de la couronne, l’Italie serait mal venue à interdire à l’Espagne un autre choix. Comment la nation italienne, revendiquant sa pleine indépendance, pourrait-elle porter atteinte à l’indépendance du peuple espagnol ? Oui, le piège tendu par M. de Bismarck à la France impériale était redoutable.
Pour dissiper le lourd malaise qui pesait sur l’Europe, pour prévenir la guerre ou pour obliger la Prusse à assumer la responsabilité ouverte de l’agression, pour ménager aussi à la France, en cas de conflit, des sympathies et des concours, il aurait fallu au ministère du 2 janvier une grande clairvoyance et une grande audace. Il aurait fallu que M. Émile Ollivier eût le courage d’appliquer au pouvoir, franchement, avec éclat, la politique qu’il avait si souvent définie envers l’Italie et envers l’Allemagne, mais il se résigna à n’avoir que le simulacre du pouvoir, et toute sa politique intérieure et extérieure ne fut qu’une lamentable capitulation. Il n’aurait pu gouverner selon ses idées qu’en dissolvant la Chambre et en soumettant au pays un programme de paix certaine et de liberté vraie. Il ne fit pas ses conditions à l’Empereur et il garda une assemblée qui ne se ralliait à l’Empire libéral que par peur d’une dissolution. Surtout il se laissa envelopper par la manœuvre du plébiscite. Le Sénatus-Consulte élargissait les attributions du Corps législatif, c’est-à-dire du pays lui-même puisqu’il partageait entre le Corps législatif, émané du suffrage universel, et le Sénat, le pouvoir constituant jusque-là réservé au Sénat nommé par l’Empereur. C’était un changement profond et qui pouvait être le principe d’une révolution légale, d’un retour à la souveraineté de la nation. Pour parer le coup, les sénateurs, partisans de l’Empire autoritaire, imaginèrent de soumettre la Constitution nouvelle au peuple par un plébiscite. Or, non seulement quand le peuple n’a pas déjà la plénitude de la liberté, quand il ne peut pas, dans les Assemblées législatives, dans la presse, dans les réunions, discuter à fond tous les problèmes, même les problèmes fondamentaux, non seulement le plébiscite n’est alors, selon le mot de Gambetta, qu’un « mensonge et un leurre », mais encore les institutions ont le sens que leur donnent les événements. Or, le plébiscite avait été en 1852 la consécration hypocrite du Coup d’État : recourir au plébiscite pour sanctionner une innovation libérale, c’était plonger une œuvre de liberté en une source profonde de servitude,